LA PRINCESSE DE CLEVES

La rencontre au bal

 Elle passa tout le jour des fiançailles chez elle à se parer, pour se trouver le soir au bal et au festin royal qui se faisait au Louvre. Lorsqu'elle arriva, l'on admira sa beauté et sa parure; le bal commença et, comme elle dansait avec M. de Guise, il se fit un assez grand bruit vers la porte de la salle, comme de quelqu'un qui entrait et à qui on faisait place. Mme de Clèves acheva de danser et, pendant qu'elle cherchait des yeux quelqu'un qu'elle avait dessein de prendre, le roi lui cria de prendre celui qui arrivait. Elle se tourna et vit un homme qu'elle crut d'abord ne pouvoir être que M. de Nemours, qui passait par-dessus quelques sièges pour arriver où l'on dansait. Ce prince était fait d'une sorte qu'il était difficile de n'être pas surprise de le voir quand on ne l'avait jamais vu, surtout ce soir-là, où le soin qu'il avait pris de se parer augmentait encore l'air brillant qui était dans sa personne; mais il était difficile aussi de voir Mme de Clèves pour la première fois sans avoir un grand étonnement.

M. de Nemours fut tellement surpris de sa beauté que, lorsqu'il fut proche d'elle, et qu'elle lui fit la révérence, il ne put s'empêcher de donner des marques de son admiration. Quand ils commencèrent à danser, il s'éleva dans la salle un murmure de louanges. Le roi et les reines se souvinrent qu'ils ne s'étaient jamais vus, et trouvèrent quelque chose de singulier de les voir danser ensemble sans se connaître. Ils les appelèrent quand ils eurent fini sans leur donner le loisir de parler à personne et leur demandèrent s'ils n'avaient pas bien envie de savoir qui ils étaient, et s'ils ne s'en doutaient point.

- Pour moi, madame, dit M. de Nemours, je n'ai pas d'incertitude; mais comme Mme de Clèves n'a pas les mêmes raisons pour deviner qui je suis que celles que j'ai pour la reconnaître, je voudrais bien que Votre Majesté eût la bonté de lui apprendre mon nom.

- Je crois, dit Mme la dauphine, qu'elle le sait aussi bien que vous savez le sien.

- Je vous assure, madame, reprit Mme de Clèves, qui paraissait un peu embarrassée, que je ne devine pas si bien que vous pensez.

- Vous devinez fort bien, répondit Mme la dauphine; et il y a même quelque chose d'obligeant pour M. de Nemours à ne vouloir pas avouer que vous le connaissez sans l'avoir jamais vu.

La reine les interrompit pour faire continuer le bal; M. de Nemours prit la reine dauphine. Cette princesse était d'une parfaite beauté et avait paru telle aux yeux de M. de Nemours avant qu'il allât en Flandre; mais, de tout le soir, il ne put admirer que Mme de Clèves.

Madame Bovary - Le bal - Sous-titres fr.

Cendrillon, Charles Perrault , 1697

Le fils du roi, qu’on alla avertir qu’il venait d’arriver une grande princesse qu’on ne connaissait point, courut la recevoir ; il lui donna la main à la descente du carrosse, et la mena dans la salle où était la compagnie. Il se fit alors un grand silence ; on cessa de danser, et les violons ne jouèrent plus, tant on était attentif à contempler les grandes beautés de cette inconnue. On n’entendait qu’un bruit confus : Ah ! qu’elle est belle ! Le roi même, tout vieux qu’il était, ne laissait pas de la regarder et de dire tout bas à la reine qu’il y avait longtemps qu’il n’avait vu une si belle et si aimable personne. Toutes les dames étaient attentives à considérer sa coiffure et ses habits, pour en avoir, dès le lendemain, de semblables, pourvu qu’il se trouvât des étoffes assez belles et des ouvriers assez habiles. Le fils du roi la mit à la place la plus honorable, et ensuite la prit pour la mener danser. Elle dansa avec tant de grâce qu’on l’admira encore davantage. On apporta une fort belle collation, dont le jeune prince ne mangea point, tant il était occupé à la considérer.

[HD] Cendrillon - C'est ça l'amour

• Les dernières volontés et la mort de Mme de Chartres

– Il faut nous quitter, ma fille, lui dit-elle, en lui tendant la main ; le péril où je vous laisse, et le besoin que vous avez de moi, augmentent le déplaisir que j'ai de vous quitter. Vous avez de l'inclination pour monsieur de Nemours ; je ne vous demande point de me l'avouer : je ne suis plus en état de me servir de votre sincérité pour vous conduire. Il y a déjà longtemps que je me suis aperçue de cette inclination ; mais je ne vous en ai pas voulu parler d'abord, de peur de vous en faire apercevoir vous-même. Vous ne la connaissez que trop présentement ; vous êtes sur le bord du précipice : il faut de grands efforts et de grandes violences pour vous retenir. Songez ce que vous devez à votre mari ; songez ce que vous vous devez à vous-même, et pensez que vous allez perdre cette réputation que vous vous êtes acquise, et que je vous ai tant souhaitée. Ayez de la force et du courage, ma fille, retirez-vous de la cour, obligez votre mari de vous emmener ; ne craignez point de prendre des partis trop rudes et trop difficiles, quelque affreux qu'ils vous paraissent d'abord ; ils seront plus doux dans les suites que les malheurs d'une galanterie. Si d'autres raisons que celles de la vertu et de votre devoir vous pouvaient obliger à ce que je souhaite, je vous dirais que, si quelque chose était capable de troubler le bonheur que j'espère en sortant de ce monde, ce serait de vous voir tomber comme les autres femmes ; mais si ce malheur vous doit arriver, je reçois la mort avec joie, pour n'en être pas le témoin.

Madame de Clèves fondait en larmes sur la main de sa mère, qu'elle tenait serrée entre les siennes, et madame de Chartres se sentant touchée elle-même :

– Adieu, ma fille, lui dit-elle, finissons une conversation qui nous attendrit trop l'une et l'autre, et souvenez-vous, si vous pouvez, de tout ce que je viens de vous dire.

     Elle se tourna de l'autre côté en achevant ces paroles, et commanda à sa fille d'appeler ses femmes, sans vouloir l'écouter, ni parler davantage. Madame de Clèves sortit de la chambre de sa mère en l'état que l'on peut s'imaginer, et madame de Chartres ne songea plus qu'à se préparer à la mort. Elle vécut encore deux jours, pendant lesquels elle ne voulut plus revoir sa fille, qui était la seule chose à quoi elle se sentait attachée.

L'aveu

 Ne me contraignez point, lui dit-elle, de vous avouer une chose que je n'ai pas la force de vous avouer, quoique j'en aie eu plusieurs fois le dessein. Songez seulement que la prudence ne veut pas qu'une femme de mon âge, et maîtresse de sa conduite, demeure exposée au milieu de la cour.
- Que me faites-vous envisager, madame, s'écria M. de Clèves. je n'oserais vous le dire de peur de vous offenser.
Mme de Clèves ne répondit point; et son silence achevant de confirmer son mari dans ce qu'il avait pensé :
-Vous ne me dites rien, reprit-il, et c'est me dire que je ne me trompe pas.
- Eh bien, monsieur, lui répondit-elle en se jetant à ses genoux, je vais vous faire un aveu que l'on n'a jamais fait à son mari; mais l'innocence de ma conduite et de mes intentions m'en donne la force. Il est vrai que j'ai des raisons de m'éloigner de la cour et que je veux éviter les périls où se trouvent quelquefois les personnes de mon âge. Je n'ai jamais donné nulle marque de faiblesse, et je ne craindrais pas d'en laisser paraître si vous me laissiez la liberté de me retirer de la cour ou si j'avais encore Mme de Chartres pour aider à me conduire. Quelque dangereux que soit le parti que je prends, je le prends avec joie pour me conserver digne d'être à vous. Je vous demande mille pardons, si j'ai des sentiments qui vous déplaisent, du moins je ne vous déplairai jamais par mes actions. Songez que pour faire ce que je fais, il faut avoir plus d'amitié et plus d'estime pour un mari que l'on en a jamais eu; conduisez-moi, ayez pitié de moi, et aimez-moi encore, si vous pouvez.
M. de Clèves était demeuré, pendant tout ce discours, la tête appuyée sur ses mains, hors de lui-même, et il n'avait pas songé à faire relever sa femme. Quand elle eut cessé de parler, qu'il jeta les yeux sur elle, qu'il la vit à ses genoux, le visage couvert de larmes et d'une beauté si admirable, il pensa mourir de douleur, et l'embrassant en la relevant :
- Ayez pitié de moi vous-même, madame, lui dit-il, j'en suis digne; et pardonnez si, dans les premiers moments d'une affliction aussi violente qu'est la mienne, je ne réponds pas comme je dois à un procédé comme le vôtre. Vous me paraissez plus digne d'estime et d'admiration que tout ce qu'il y a jamais eu de femme au monde; mais aussi je me trouve le plus malheureux homme qui ait jamais été. Vous m'avez donné de la passion dès le premier moment que je vous ai vue; vos rigueurs et votre possession n'ont pu l'éteindre : elle dure encore; je n'ai pu vous donner de l'amour, et je vois que vous craignez d'en avoir pour un autre. Et qui est-il, madame, cet homme heureux qui vous donne cette crainte ? Depuis quand vous plaît-il ? Qu'a-t-il fait pour vous plaire ? Quel chemin a-t-il trouvé pour aller à votre cœur ? Je m'étais consolé en quelque sorte de ne l'avoir pas touché par la pensée qu'il était incapable de l'être. Cependant un autre fait ce que je n'ai pu faire.

La Belle Personne - ENGLISH subs.

La belle personne : article Telerama

Avec “La Belle Personne”, transposition audacieuse de “La Princesse de Clèves” dans un lycée d'aujourd'hui, Christophe Honoré clôt en beauté sa trilogie sur la jeunesse, l’amour et Paris, après “Dans Paris” et “Les Chansons d’amour”. Entretien thématique avec le cinéaste, qui s’interroge sur la façon de filmer la jeunesse et raconte le plaisir qu’il a eu à tourner avec des comédiens pas tous professionnels. Le film est diffusé sur Arte à 21h, ce soir.

Transformer des aristocrates du XVIe en ados du XXIe siècle
« Plus que par les dialogues, la réincarnation des héros de Madame de Lafayette dans l’époque d’aujourd’hui passe par les physiques des comédiens. Léa Seydoux (la princesse), avec son visage diaphane, un peu rond, Agathe Bonitzer (Marie) et Anaïs Demoustiers (la reine), ont toutes les trois des physiques très modernes, mais qui font aussi film d’époque. Les garçons sont plus d’aujourd’hui, excepté peut-être Esteban Carjaval Alegria (le vidame). Nous n’avons pas repris les dialogues du livre, les situations et la morale étant suffisamment fortes. Mais je ne voulais surtout pas tendre vers un langage “djeuns”, toujours assez caricatural au cinéma. Même si chaque époque a son argot jeune, on s’aperçoit que les adolescents l’utilisent surtout quand ils se savent observés par les adultes. Entre eux, ils se parlent bien, et c’est normal, parce que même si certains ont plus de difficultés que d’autres, ils sont à une période de leur vie où on essaie de leur apprendre à être précis dans l’expression de leurs idées et de leurs sentiments. Le langage des personnages est donc soutenu, et c’est vrai que certaines phrases peuvent sonner un peu précieuses. Ça fait aussi partie d’un jeu ; à cet âge-là on se permet d’être toujours un peu en représentation, d’utiliser des registres de langues très différents selon la personne à qui on s’adresse. Quand Marie dit à Nemours : “J’ai comme une très grande douleur de vous quitter, monsieur”, ça ne vient pas de Mme de Lafayette, mais d’une réplique que j’adore dans Lola, le film de Jacques Demy... »

“C’était agréable de mélanger
des comédiens professionnels et des
jeunes gens qu’on a trouvés dans la rue,
ou qui traînaient dans les lycées”


Travailler avec de jeunes acteurs
« Le casting était très généreux, il y avait beaucoup de gens à trouver, plein de nouvelles têtes à montrer. C’était agréable de mélanger des comédiens professionnels et des jeunes gens qu’on a trouvés dans la rue, ou qui traînaient dans les lycées ; c’est comme ça qu’on a trouvé Jacob Lyon et Simon Truxillo, qui joue le roi. Je m’attendais à ce que les premières prises soient catastrophiques, mais les ados jouaient aussi avec leur quotidien. Etre élève, d’ailleurs, c’est déjà tenir un rôle : on l’a tous vécu comme cela, on le jouait avec telle ou telle tonalité selon les profs. En septembre, on apprenait un nouveau texte en se disant “je vais être ce genre d’élève-là cette année”... et on tenait à peu près jusqu’aux vacances de la Toussaint ! »

“On a monté les 20-30 secondes
où ils arrêtent de jouer avec leur beauté.”

 


Filmer la jeunesse
« Il y a trois façons de filmer la jeunesse. Soit vous faites un film en fonction de votre propre jeunesse, avec tout ce que ça comporte de nostalgie, comme Les Roseaux sauvages, d’André Téchiné, ou L’Eau froide, d’Olivier Assayas. Soit vous essayez d’apporter un témoignage sociologique sur une jeunesse censée être “représentative”, comme dans L’Esquive ou Entre les murs. Soit vous acceptez que la jeunesse est un territoire qui vous est maintenant inconnu, interdit, parce que vous êtes vieux ! Et qu’il faut la filmer avec la distance que son mystère vous impose. Dans La Belle Personne, je ne prétends pas présenter une photographie juste de la jeunesse, j’essaie simplement de regarder les adolescents pour ce qu’ils sont, avec cette part d’intimité qui m’échappe. Pour les scènes de classe, on a rajouté des estrades partout. Ça me permettait d’aller chercher les visages, de les isoler pour les gros plans, et de désigner nettement chaque personnage. Ces gros plans sur les lycéens sont des moments où le film prend de la profondeur ; j’ai l’impression d’être à l’affût de leur solitude, de leurs pensées, tout en essayant de rendre compte de leur beauté – pas de leur beauté physique, plutôt de leur grâce, de quelque chose qui aura disparu dans deux ans.

Ce qui est troublant, c’est qu’avant, quand on filmait des adolescents, c’était à leur insu. Dans A nos amours, de Pialat, je ne pense pas que Sandrine Bonnaire ait pensé qu’elle était un objet de désir. Aujourd’hui, quand vous posez votre caméra face à de jeunes gens, vous devez attendre le moment où ils cesseront d’être dans la séduction. Les gros plans correspondent souvent à des prises très longues, qui pouvaient durer deux-trois minutes ; on a monté les 20-30 secondes où ils arrêtent de jouer avec leur beauté. Je pense que c’est ça qui rend ces gros plans assez émouvants. Soudain ces adolescents redeviennent un peu à nous, sans qu’il soit question de s’identifier à eux. »


Confronter les lycéens à la beauté
« Aujourd’hui, on nous explique que l’éducation doit être rentable, qu’un ordinateur sera toujours plus efficace qu’une sortie au théâtre. Je tenais beaucoup à redire que l’adolescence est un moment privilégié pour la rencontre avec la beauté, dans le sens artistique du terme. C’est à l’adolescence qu’on découvre soudain, parce qu’un prof nous emmène voir un Marivaux, un Molière ou même un truc plus fun, que l’on peut avoir de vrais chocs esthétiques. Je me souviens de ce que j'ai pu ressentir face au cinéma, à la peinture, aux livres qu’on étudiait en classe. Avec les poèmes d’Apollinaire ou de Baudelaire, je ne me sentais plus, j’avais l’impression de m’élever... Il y a, à cet âge, une soif de culture et de beauté qu’on a rarement après. Il était donc très important que l’art traverse tout le film, et j’ai essayé de le faire d’une manière, je l’espère, un peu légère et inattendue : la rencontre des lycéens avec le film Yaaba, des statues dans les salles de classe qui n’ont strictement rien à faire là, un comédien qui a soudain le même déhanchement que la statue qu’il côtoie, une exposition de photographies, et puis la musique, le fait de pouvoir être bouleversé à la fois par Nick Drake et par un truc commercial idiot, comme la chanson d’Alain Barrière... Le lycée reste tout de même l’un de ces rares lieux où l’on peut avoir le matin un cours sur la Contre-Réforme, entendre un extrait de Lucia di Lammermoor l’après-midi, et découvrir après, en cours de français, un poème de Mallarmé. Je sais que beaucoup de gens ironisent là-dessus, sur l’air du “ça sert à rien”. Ça ne sert pas à rien, c’est l’essence même de la vie, du rapport métaphysique de chacun avec sa propre vie. »


Un titre au féminin singulier
« J’ai hésité avec “Les Belles Personnes”. Mais Mme de La Fayette ayant désigné la princesse comme l’héroïne, on a été jusqu’au bout : l’affiche du film ne montre que Léa. C’est de toute façon assez rare, pour un metteur en scène, d’avoir l’occasion de révéler quelqu’un dans un premier rôle, et Léa Seydoux est une vraie révélation. On a vu apparaître dans le cinéma français des filles comme Sara Forestier (L'Esquive), qui étaient plutôt des natures ; Léa, c’est une actrice jusqu’au bout des ongles. Sa propre personne est assez éloignée du film, c’est une fille très joyeuse, avec un tempérament très fort, assez rentre-dedans, vraiment pas éthérée. Ça fait longtemps qu’on n’a pas vu un potentiel d’actrice aussi impressionnant. »

“J’ai demandé à Grégoire de chanter
parce que c’était aussi une façon de relier
Dans Paris, Les Chansons d’amour
et La Belle Personne


Grégoire Leprince-Ringuet, des Chansons d’amour à La Belle Personne
« Grégoire en prince de Clèves, c’est le négatif complet d’Erwan, le personnage qu’il jouait dans Les Chansons d’amour. Erwan était très aérien, il entraînait tout le monde dans sa logique irrésistible ; Otto a un côté profondément terrien, il n’y a plus aucune grâce, plus aucun optimisme dans son sentiment amoureux. C’est une marionnette avec des semelles de plomb : une fois qu’on l’a posé quelque part, il ne peut pas envisager d’être ailleurs. Avec Grégoire, on a beaucoup travaillé sur la pesanteur, dans l’idée de la chute finale ; on a trouvé exprès un manteau trop grand pour lui qui l’enfonçait un peu toujours dans le sol, de grosses chaussures... Ce qui l’énervait un peu, parce qu’il voyait bien que les autres personnages, notamment celui d’Esteban, étaient plus évidemment séduisants que le sien. Le personnage du prince de Clèves est très important, il ne faut pas en faire quelqu’un de trop effacé. J’ai demandé à Grégoire de chanter parce que c’était aussi une façon de relier Dans Paris, Les Chansons d’amour et La Belle Personne. J’aimais l’idée que la dernière chanson de ces trois films, ce soit lui qui la chante, et que ce soit un moment de lyrisme coupé dans son élan, à la différence des Chansons d’amour, où les chansons élèvent les personnages. »

“Je crois que Louis Garrel n’a jamais été aussi
à nu, aussi abandonné”


Louis Garrel en duc de Nemours
« Louis n’a jamais été aussi bon, et je sais d’où ça vient. Quand on a regardé les premiers rushes, il était très flippé par ce que faisaient les gamins, il n’arrêtait pas de me dire : “Ils sont supers, ils sont tellement naturels !” Lui avait l’impression d’être un vieux cabot, avec ses trucs d’acteur, alors qu’eux étaient dans une sorte de fraîcheur et de spontanéité absolues. Du coup, il s’est dit qu’il devait trouver autre chose. A la fin, une fois que la princesse est partie, il est bien dans cette “absolue détresse amoureuse” qu’il confiait à son ami Estouteville, et je crois qu’il n’a jamais été aussi à nu, aussi abandonné. Il a une manière de jouer très frontale, très simple, qui me fait penser qu’on a fait un vrai trajet entre Dans ParisLes Chansons d’amour et La Belle Personne. Dans les deux premiers, les personnages incarnés par Louis faisaient les guignols avec leur tristesse, ce qui est plutôt élégant ; à la fin de La Belle Personne, Nemours ne fait plus du tout le malin. »


Filmer Paris de film en film
« Dans Paris, c’était Paris vu comme un musée du cinéma, je retournais sur les lieux de tournage des films qui avaient marqué ma cinéphilie. Les Chansons d’amour montraient un Paris très documentaire ; je voulais incarner cette comédie musicale sans que ce soit kitsch, avec un décor très réaliste. Avec La Belle Personne, on passe dans un Paris ville morte, de couvre-feu, que les adultes ont déserté. On ne voit d’ailleurs les parents qu’au moment de l’arrestation, et ils n’ont pas droit aux gros plans. C’est un peu la ville dont les princes sont des ados ! Il n’y a personne pour les aider, ils sont vraiment seuls... C’était un vrai défi de faire ces trois films à suivre, sur trois ans, toujours à Paris et au mois de janvier. Ils accompagnent comme un changement d’époque, puisque Dans Paris, c’était les dernières années Chirac, Les Chansons d’amour se passait au moment de la campagne présidentielle, et La Belle Personne se situe un an après l’élection de Sarkozy. La vision de la ville est de plus en plus sombre, et c’est vrai qu’on ne gagne pas en optimisme... »

Mlle de Scudéry, Clélie, histoire romaine, 1654-1660 : "La Carte de Tendre"

 

Source : https://cotentinghislaine.wixsite.com/aimerlalitterature/la-fayette-parcours

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La « carte du pays de Tendre », réalisé par François Chauveau pour illustrer Clélie histoire romaine (1654-1660) de Mlle. de Scudéry, illustre bien les étapes que doit parcourir le parfait amant – et les risques qu'il court –  pour offrir à la femme aimée un amour absolu, digne du « prix » qu'il lui donne.

Les trois routes vers « Tendre »

 

Notons déjà le choix du mot « Tendre », sentiment à propos duquel Furetière, dans son Dictionnaire Universel (1690), explique : « La délicatesse du siècle a renfermé ce mot dans l’amour et dans l’amitié ». C’est un premier exemple de la volonté précieuse de raffiner les composantes du sentiment amoureux.

Le point de départ de ce « voyage » amoureux est au sud de la carte, la ville de « Nouvelle Amitié » : elle correspond au moment où se fait la première rencontre. 

À partir de cette ville, trois « trois routes différentes » sont tracées, vers trois villes, « Tendre-sur-Inclination », « Tendre-sur-Estime », « Tendre-sur-Reconnaissance ». Pour se rendre dans les deux dernières, la route a suivre exige de traverser de nombreux villages, qui révèlent les comportements à adopter. En revanche, pour aller à « Tendre-sur-Inclination », le chemin est direct. Il suffit de se laisser emporter par le fleuve « Inclination »,  image qui traduit la rapidité et l’absence d’effort, expliquée dans le roman : « Cependant comme elle a présupposé que la tendresse qui naît par inclination, n’a besoin de rien autre chose pour être ce qu’elle est, Clélie, comme vous le voyez, Madame, n’a mis nul village le long des bords de cette rivière, qui va si vite, qu’on n’a que faire de logement le long de ses rives, pour aller de Nouvelle Amitié à Tendre ». Or, c’est précisément ce mot « inclination » qui revient de façon récurrente dans La Princesse de Clèves, employé aussi bien pour l’héroïne quand sa mère découvre ses sentiments, que pour le Duc de Nemours : « Monsieur de Nemours sentait pour elle une inclination violente ».

Les obstacles

 

De part et d’autre des deux autres chemins, il est possible que le voyageur s’égare : « Mais, Madame, comme il n’y a point de chemins où l’on ne se puisse égarer, Clélie a fait, comme vous le pouvez voir, que ceux qui sont à Nouvelle Amitié, prenaient un peu plus à droite, ou un peu plus à gauche, ils s’égareraient aussi. »

         À l’est, après avoir traversé « Négligence », « Inégalité », « Tiédeur », « Légèreté » et « Oubli », le risque est de sombrer dans le « Lac d’Indifférence ». Ici se traduit une sorte d’effacement progressif de l’amour, ce dont Madame de Chartres avertit sa fille : « elle lui contait le peu de sincérité des hommes, leurs tromperies et leur infidélité ». C’est aussi l’argument qu’invoque la Princesse lorsqu’elle se sépare du Duc : « Vous avez déjà eu plusieurs passions ; vous en auriez encore ; je ne ferais plus votre bonheur ».

         À l’ouest, ce sont « Indiscrétion » « Orgueil », « Perfidie », « Médisance » et « Méchanceté » qui conduisent aux vagues redoutables de la « Mer d’Inimitié ». Ici, les dangers sont davantage liés à l’insertion de l’amant dans une société qui favorise de tels comportements. Or, un des épisodes du roman est une « indiscrétion », commise par le Duc de Nemours : il raconte au Vidame de Chartres l’aveu de la Princesse à son mari, en le présentant comme une aventure arrivée à l’un de ses amis. Mais, dans cette Cour avide d’intrigues amoureuses, son récit est répété et rapporté à la Princesse, bouleversée par cette indiscrétion : « Il a été discret, disait-elle, tant qu’il a cru être malheureux ; mais une pensée d’un bonheur, même incertain, a fini sa discrétion. Il n’a pu s’imaginer qu’il était aimé sans vouloir qu’on le sût. […] J’ai eu tort de croire qu’il y eût un homme capable de cacher ce qui flatte sa gloire. » Ces réflexions montrent comment s’articulent les obstacles mentionnés sur la Carte.

La « Mer dangereuse »

 

La Carte montre qu’au nord, après être arrivé à l’un des trois villages de « Tendre », les trois fleuves se jettent dans la « Mer dangereuse », parsemée de rochers qui menacent de naufrage. C’est alors que le texte établit une distinction entre « la tendresse » et « l’amour » : « Aussi cette sage fille voulant faire connaître sur cette Carte qu’elle n’avait jamais eu d’amour, qu’elle n’aurait jamais dans le cœur que de la tendresse, fait que la Rivière d’Inclination se jette dans une mer qu’on appelle la Mer Dangereuse ; parce qu’il est assez dangereux à une femme, d’aller un peu au delà des dernières bornes de l’Amitié ». Nous reconnaissons ici une des caractéristiques à la fois de la Préciosité, son désir d’un amour sublimé, et de la morale du XVIIème siècle, qui se construit sur la méfiance des passions. D’où l’insistance de Madame de La Fayette sur le « trouble » que provoque l’amour chez ses personnages, et sur la volonté de son héroïne de retrouver le « repos » de l’âme. Nommer « Terres inconnues » le territoire situé au-delà de cette mer souligne à quel point la passion est une menace : nul ne sait jusqu’où elle peut entraîner celui qui la vit.

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