Les pouvoirs de la parole Période de référence : Antiquité, Moyen Âge ( titres en rouge)

Chapitres

I.L’autorité de la parole

Parole sacrée / parole profane

Magie, religion, régime politique, justice, science

  •  D'où vient l'autorité de la parole?
  • Quelles dérives ?

                 L'injonction, la parole performative, le présent gnomique, les usages du futur,...

Supports étudiés :

1. D'où vient l'autorité de la parole?

  • Harry Potter, Le choixpeau
  • Oedipe Roi, Sophocle
  • La machine infernale, Cocteau
  • Le procès, Kafka
  • La dent d'or, Fontenelle

2. Qu'est-ce que l'autorité?

  • Article " Autorité politique", Diderot
  • « Qu’est-ce que l’autorité ? », Hannah Arendt

3. Les dérives de l'autorité de la parole

  • Le loup et l'agneau, Esope
  • "Le loup et l'agneau", " Les animaux malades de la peste", La Fontaine
  • 1984, Orwell
  • L'expérience de Milgram// sa version télévisée
  • Le Gorgias, Platon

Eléments de linguistique pour l'étude de la novlangue : Saussure, Jakobson

  • Ion, Platon
  • Médée, Sénèque

 

 

II. L'art de la parole

  • Techniques de la parole 
  • - Les différentes facettes de la rhétorique, en tant qu’art réglé de la parole et de l’éloquence
  • - Les situations de prise de parole (débats publics, procès, etc.)
  • -Les formes littéraires associées

 

III. Les séductions de la parole             

 Les intentions de la parole séductrice

  • Le roman de Renart

L'autorité de la parole : d'où vient le pouvoir de la parole?

À l’origine chapeau pointu de sorcier appartenant Godric Gryffondor, le Choixpeau magique fut ensorcelé par les quatre fondateurs de Poudlard qui lui offrirent un cerveau et une bonne dose de personnalité. Sa fonction est de déterminer dans quelle maison se retrouvera chaque nouvel étudiant. Il effectue cette tâche lors du festin de début d’année, installé sur un tabouret à trois (et parfois quatre) pieds dans la Grande Salle. Il chante alors une longue chanson de présentation, différente chaque année mais contenant les mêmes informations basiques : comment il a été ensorcelé pour s’occuper de la répartition et quels sont les critères de sélection de chaque maison. Les étudiants de première année mettent chacun à leur tour le Choixpeau magique sur leur tête. Dans la minute qui suit, il proclame à voix haute quelle maison leur convient le mieux.

Pour lire la suite : https://www.encyclopedie-hp.org/monde-magique/objets-magiques/choixpeau-magique/

Oedipe Roi, Sophocle

TIRÉSIAS. Ta destinée n'est point de succomber par moi. Apollon y suffira. C'est lui que ce soin regarde.

OEDIPE. Ceci est-il inventé par toi ou par Créon ?

TIRÉSIAS. Créon n'est point cause de ton mal. Toi seul es ton propre ennemi.

OEDIPE. Ô richesse, ô puissance, ô gloire d'une vie illustre par la science et par tant de travaux, combien vous excitez d'envie ! Puisque, pour cette même puissance que la ville a remise en mes mains sans que je l'aie demandée, Créon, cet ami fidèle dès l'origine, ourdit secrètement des ruses contre moi et s'efforce de me renverser, ayant séduit ce menteur, cet artisan de fraudes, cet imposteur qui ne voit que le gain, et n'est aveugle que dans sa science ! Allons ! Dis-moi, où t'es-tu montré un sûr divinateur ? Pourquoi, quand elle était là, la chienne aux paroles obscures, n'as-tu pas trouvé quelque moyen de sauver les citoyens ? Était-ce au premier homme venu d'expliquer l'énigme, plutôt qu'aux divinateurs ? Tu n'as rien fait ni par les augures des oiseaux, ni par une révélation des dieux. Et moi, Oedipe, qui arrivais ne sachant rien, je fis taire la Sphinx par la force de mon esprit et sans l'aide des oiseaux augurals. Et c'est là l'homme que tu tentes de renverser, espérant t'asseoir auprès de Créon sur le même trône ! Mais je pense qu'il vous en arrivera malheur à toi et à celui qui a ourdi le dessein de me chasser de la ville comme une souillure. Si je ne croyais que la vieillesse t'a rendu insensé, tu saurais bientôt ce que coûtent de tels desseins.

LE CHOEUR. Autant que nous en jugions, ses paroles et les tiennes, Oedipe, nous semblent pleines d'une chaude colère. Il ne faut point s'en occuper, mais rechercher comment nous accomplirons pour le mieux l'oracle du dieu. TIRÉSIAS. Si tu possèdes la puissance royale, il m'appartient cependant de te répondre en égal. J'ai ce droit en effet. Je ne te suis nullement soumis, mais à Loxias ; et je ne serai jamais inscrit comme client de Créon. Puisque tu m'as reproché d'être aveugle, je te dis que tu ne vois point de tes yeux au milieu de quels maux tu es plongé, ni avec qui tu habites, ni dans quelles demeures. Connais-tu ceux dont tu es né ? Tu ne sais pas que tu es l'ennemi des tiens, de ceux qui sont sous la terre et de ceux qui sont sur la terre. Les horribles exécrations maternelles et paternelles, s'abattant à la fois sur toi, te chasseront un jour de cette ville. Maintenant tu vois, mais alors tu seras aveugle. Où ne gémiras-tu pas ? Quel endroit du Cithéron ne retentira-t-il pas de tes lamentations, quand tu connaîtras tes noces accomplies et dans quel port fatal tu as été poussé après une navigation heureuse ? Tu ne vois pas ces misères sans nombre qui te feront l'égal de toi-même et de tes enfants. Maintenant, accable-nous d'outrages, Créon et moi, car aucun des mortels ne succombera plus que toi sous de plus cruelles misères. OEDIPE. Qui pourrait endurer de telles paroles ? Va-t'en, abominable ! Hâte-toi ! Sors de ces demeures, et sans retour !

La machine infernale, Cocteau

LE SPHINX : Abandonne-toi. N’essaie pas de te crisper, de résister. Abandonne-toi. Si tu résistes, tu ne réussiras qu’à rendre ma tâche plus délicate, et je risque de te faire du mal.

ŒDIPE : Je résisterai ! (Il ferme les yeux, détourne la tête.)

LE SPHINX : Inutile de fermer les yeux, de détourner la tête. Car ce n’est ni par le chant, ni par le regard que j’opère. Mais, plus adroit qu’un aveugle, plus rapide que le filet des gladiateurs, plus subtil que la foudre, plus raide qu’un cocher, plus lourd qu’une vache, plus sage qu’un élève tirant la langue sur des chiffres, plus gréé, plus voilé, plus ancré, plus bercé qu’un navire, plus incorruptible qu’un juge, plus vorace que les insectes, plus sanguinaire que les oiseaux, plus nocturne que l’œuf, plus ingénieux que les bourreaux d’Asie, plus fourbe que le cœur, plus désinvolte qu’une main qui triche, plus fatal que les astres, plus attentif que le serpent qui humecte sa proie de salive ; je sécrète, je tire de moi, je lâche, je dévide, je déroule, j’enroule de telle sorte qu’il me suffira de vouloir ces nœuds pour les faire et d’y penser pour les tendre ou pour les détendre ; si mince qu’il t’échappe, si souple que tu t’imagineras être victime de quelque poison, si dur qu’une maladresse de ma part t’amputerait, si tendu qu’un archet obtiendrait entre nous une plainte céleste ; bouclé comme la mer, la colonne, la rose, musclé comme la pieuvre, machiné comme les décors du rêve, invisible surtout, invisible et majestueux comme la circulation du sang des statues, un fil qui te ligote avec la volubilité des arabesques folles du miel qui tombe sur du miel.

ŒDIPE : Lâchez-moi !

LE SPHINX : Et je parle, je travaille, je dévide, je déroule, je calcule, je médite, je tresse, je vanne, je tricote, je natte, je croise, je passe, je repasse, je noue et dénoue et renoue, retenant les moindres nœuds qu’il me faudra te dénouer ensuite sous peine de mort ; et je serre, je desserre, je me trompe, je reviens sur mes pas, j’hésite, je corrige, enchevêtre, désenchevêtre, délace, entrelace, repars ; et j’ajuste, j’agglutine, je garrotte, je sangle, j’entrave, j’accumule, jusqu’à ce que tu te sentes, de la pointe des pieds à la racine des cheveux, vêtu de toutes les boucles d’un seul reptile dont la moindre respiration coupe la tienne et te rende pareil au bras inerte sur lequel un dormeur s’est endormi.

ŒDIPE : (d’une voix faible.) Laissez-moi ! Grâce…

LE SPHINX : Et tu demanderais grâce et tu n’aurais pas à en avoir honte, car tu ne serais pas le premier, et j’en ai entendu de plus superbes appeler leur mère, et j’en ai vu de plus insolents fondre en larmes, et les moins démonstratifs étaient encore les plus faibles, car ils s’évanouissaient en route, et il me fallait imiter les embaumeurs entre les mains desquels les morts sont des ivrognes qui ne savent même plus se tenir debout !

ŒDIPE : Mérope !… Maman !

LE SPHINX : Ensuite, je te commanderais d’avancer un peu et je t’aiderais en desserrant tes jambes. Là ! Et je t’interrogerais. Je te demanderais par exemple : Quel est l’animal qui marche sur quatre pattes le matin, sur deux pattes à midi, sur trois pattes le soir ? Et tu chercherais, tu chercherais. À force de chercher, ton esprit se poserait sur une petite médaille de ton enfance, ou tu répéterais un chiffre, ou tu compterais les étoiles entre ces deux colonnes détruites ; et je te remettrais au fait en te dévoilant l’énigme. Cet animal est l’homme qui marche à quatre pattes lorsqu’il est enfant, sur deux pattes quand il est valide, et lorsqu’il est vieux, avec la troisième patte d’un bâton.

Le procès, Kafka

Retournez dans votre chambre et attendez. La procédure est engagée, vous apprendrez tout au moment voulu. Je dépasse ma mission en vous parlant si gentiment. Mais j’espère que personne ne m’a entendu en dehors de Franz qui vous traite lui-même sur un pied d’amitié contraire à tous les règlements. Si vous continuez à avoir par la suite autant de chance qu’avec vos gardiens, vous pouvez avoir bon espoir. »

K. voulut s’asseoir, mais il s’aperçut alors qu’il n’y avait plus aucun siège dans la pièce, excepté la chaise près de la fenêtre.

« Vous reconnaîtrez plus tard, dit Franz, combien nous vous avons dit vrai », et il s’avança sur lui suivi de son compagnon.

K. fut énormément surpris, surtout par le dernier, qui lui tapa à plusieurs reprises sur l’épaule. Tous deux regardèrent sa chemise de nuit et déclarèrent qu’il lui faudrait en mettre une bien plus mauvaise, mais qu’ils veilleraient avec grand soin sur cette chemise comme aussi sur tout le reste de son linge, et qu’ils le lui rendraient au cas où son affaire finirait bien.

« Il vaut beaucoup mieux, lui dirent-ils, nous confier vos objets à garder, car, au dépôt, il se produit souvent des fraudes et d’ailleurs on y revend tout, au bout d’un temps déterminé, sans s’inquiéter de savoir si le procès est fini. Or, on ne sait jamais, surtout ces derniers temps, combien ce genre d’affaires peut durer. Au bout du compte le dépôt vous rendrait bien le produit de la vente, mais d’abord ce ne serait pas grand-chose, car ce n’est pas la grandeur de l’offre qui décide du prix, mais celle du pot-de-vin, et puis l’expérience montre trop que ces sommes diminuent toujours avec les années en passant de main en main. »

K. fit à peine attention à ces discours ; il n’accordait pas grande importance au droit qu’il pouvait encore posséder sur son linge ; il lui semblait beaucoup plus urgent de se faire éclaircir sa situation ; mais, en présence de ces gens, il ne pouvait même pas réfléchir ; le ventre du second inspecteur – ce ne pouvaient être évidemment que des inspecteurs – s’aplatissait à chaque instant sur lui de la façon la plus cordiale, mais lorsqu’il levait les yeux, il découvrait une tête sèche et osseuse, armée d’un grand nez déjeté, qui n’allait pas sur ce gros corps et qui se concertait comme une personne à part avec le second inspecteur. Quels hommes étaient-ce donc là ? De quoi parlaient-ils ? À quel service appartenaient-ils ? K. vivait pourtant dans un État constitutionnel. La paix régnait partout ! Les lois étaient respectées ! Qui osait là lui tomber dessus dans sa maison ? Il avait toujours tendance à prendre les choses légèrement, à ne croire au pire que quand il arrivait et à ne pas s’armer de précautions pour l’avenir, même alors que tout menaçait ; mais, dans le cas qui se présentait, cette attitude lui sembla déplacée ; sans doute cette scène n’était-elle qu’une plaisanterie, une grossière plaisanterie, que ses collègues de la banque avaient organisée à son intention pour des raisons qu’il ignorait – peut-être parce que c’était le jour de son trentième anniversaire – c’était possible, évidemment ; peut-être n’aurait-il qu’à éclater de rire pour que ses gardiens en fissent autant ; peut-être bien ces fameux inspecteurs n’étaient-ils que les commissionnaires du coin ; en tout cas ils leur ressemblaient ; et cependant, depuis l’instant où il avait aperçu Franz, K. était décidé à ne pas abandonner le moindre atout qu’il pût avoir contre ces hommes. Si l’on disait plus tard qu’il n’avait pas compris la plaisanterie, tant pis, ce n’était pas un gros danger ; sans être de ces gens à qui l’expérience profite toujours, il se rappelait avoir été puni par les événements, de s’être sciemment conduit avec imprudence dans certains cas, au contraire de ses amis. Cela ne se reproduirait pas, tout au moins cette fois-ci. S’il s’agissait d’une comédie, il allait la jouer lui aussi.

Pour le moment, il était encore libre.

« Permettez », dit-il, et, se glissant entre les gardiens, il entra vivement dans sa chambre.

« Il semble raisonnable », entendit-il dire derrière lui.

Aussitôt chez lui, il ouvrit brutalement les tiroirs de son secrétaire ; tout s’y trouvait dans le plus grand ordre ; mais l’émotion l’empêcha de découvrir immédiatement les pièces d’identité qu’il cherchait. Il finit par mettre la main sur un permis de bicyclette, et il allait déjà le présenter au gardien quand, se ravisant, il l’estima insuffisant et continua à chercher jusqu’à ce qu’il eût trouvé un extrait de naissance. Lorsqu’il revint dans la pièce voisine, la porte d’en face s’en ouvrait et Mme Grubach s’apprêtait à entrer. On n’aperçut d’ailleurs cette dame qu’un instant, car, à peine l’eut-elle reconnu, qu’elle s’excusa, visiblement gênée, disparut et referma la porte avec les plus grandes précautions.

« Entrez donc ! »

C’était tout ce que K. avait eu le temps de lui dire. Il restait là, planté avec ses papiers à la main au milieu de cette pièce, à regarder la porte qui ne se rouvrait pas ; un appel des gardiens le réveilla en sursaut ; ils étaient attablés devant la fenêtre ouverte, en train de manger son déjeuner.

« Pourquoi n’est-elle pas entrée ? demanda-t-il.

– Elle n’en a pas le droit, dit le plus grand des deux gardiens. Vous savez bien que vous êtes arrêté.

– Pourquoi serais-je donc arrêté ? Et de cette façon, pour comble ?

– Voilà donc que vous recommencez ! dit l’inspecteur en plongeant une tartine beurrée dans le petit pot de miel. Nous ne répondons pas à de pareilles questions.

– Vous serez bien obligés d’y répondre, dit K. Voici mes papiers d’identité ; maintenant, montrez-moi les vôtres et faites-moi voir, surtout, votre mandat d’arrêt.

– Mon Dieu ! mon Dieu ! dit le gardien, que vous êtes long à entendre raison ! On dirait que vous ne cherchez qu’à nous irriter inutilement, nous qui, pourtant, sommes sans doute en ce moment les gens qui vous veulent le plus de bien.

– Puisqu’on vous le dit » expliqua Franz, et, au lieu de porter à la bouche la tasse de café qu’il tenait à la main, il jeta sur K. un long regard peut-être très significatif, mais auquel K. ne comprit rien.

Il s’ensuivit un long dialogue de regards, malgré K. qui finit pourtant par exhiber ses papiers et par dire :

« Voici mes pièces d’identité.

– Que voulez-vous que nous en fassions ? s’écria alors le grand gardien. Vous vous conduisez pis qu’un enfant. Que voulez-vous donc ? Vous figurez-vous que vous amènerez plus vite la fin de ce sacré procès en discutant avec nous, les gardiens, sur votre mandat d’arrestation et sur vos papiers d’identité ? Nous ne sommes que des employés subalternes ; nous nous connaissons à peine en papiers d’identité et nous n’avons pas autre chose à faire qu’à vous garder dix heures par jour et à toucher notre salaire pour ce travail. C’est tout ; cela ne nous empêche pas de savoir que les autorités qui nous emploient enquêtent très minutieusement sur les motifs de l’arrestation avant de délivrer le mandat. Il n’y a aucune erreur là-dedans. Les autorités que nous représentons – encore ne les connais-je que par les grades inférieurs – ne sont pas de celles qui recherchent les délits de la population, mais de celles qui, comme la loi le dit, sont « attirées », sont mises en jeu par le délit et doivent alors nous expédier, nous autres gardiens. Voilà la loi, où y aurait-il là une erreur ?

– Je ne connais pas cette loi, dit K.

– Vous vous en mordrez les doigts, dit le gardien.

– Elle n’existe certainement que dans votre tête », répondit K.

Il aurait voulu trouver un moyen de se glisser dans la pensée de ses gardiens, de la retourner en sa faveur ou de la pénétrer complètement. Mais le gardien éluda toute explication en déclarant :

« Vous verrez bien quand vous la sentirez passer ! »

Franz s’en mêla :

« Tu vois ça, Willem, dit-il, il reconnaît qu’il ignore la loi, et il affirme en même temps qu’il n’est pas coupable !

– Tu as parfaitement raison, dit l’autre, il n’y a rien à lui faire comprendre. »

K. ne répondit plus.

« Devrais-je, pensait-il, me laisser inquiéter par les bavardages de ces subalternes, puisqu’ils reconnaissent eux-mêmes qu’ils ne sont pas autre chose ? En tout cas, ils parlent de sujets qu’ils ignorent complètement. Leur assurance ne peut s’expliquer que par leur bêtise. Quelques mots avec un fonctionnaire de mon niveau m’éclairciront beaucoup mieux la situation que les plus longs discours de ces deux bonshommes. »

Il fit un instant les cent pas dans l’espace libre de la pièce et vit la vieille femme d’en face qui avait traîné jusqu’à la fenêtre un vieillard plus vieux qu’elle encore qu’elle tenait par la taille.

K. sentit la nécessité de mettre fin à cette comédie :

« Conduisez-moi, dit-il, à votre supérieur.

– Quand il le demandera, pas avant, dit le gardien que l’autre avait appelé Willem. Et maintenant je vous conseille, ajouta-t-il, de retourner dans votre chambre et d’y attendre tranquillement ce qu’on décidera de vous. Ne vous épuisez pas en soucis superflus, c’est un conseil que nous vous donnons ; ramassez vos forces plutôt, car vous en aurez grand besoin. Vous ne nous avez pas traités comme notre présence le méritait, vous avez oublié que, quels que nous soyons, nous représentons, au moins maintenant, en face de vous, des hommes libres, et ce n’est pas une mince supériorité. Cependant nous sommes prêts, si vous avez de l’argent, à vous faire apporter un petit déjeuner du café d’en face. »

K. ne répondit pas à cette proposition ; il resta là un moment sans rien dire. Peut-être s’il essayait d’ouvrir la porte de la pièce voisine, ou même celle du vestibule, les deux gardiens ne l’en empêcheraient-ils pas ? Peut-être fallait-il pousser les choses au pire ? Il se pouvait que ce fût la clef de la situation.

Mais peut-être aussi les gardiens lui mettraient-ils la main dessus s’il essayait : alors adieu la supériorité qu’il conservait tout de même sur eux à certains égards ! Aussi préféra-t-il attendre la solution moins incertaine que le cours naturel des choses amènerait nécessairement ; il revint donc dans sa chambre sans ajouter un seul mot.

Là, il se jeta sur son lit et prit sur la table de toilette une belle pomme qu’il avait mise de côté la veille pour son petit déjeuner. Il ne lui en restait pas d’autres, mais celui-ci, comme il s’en convainquit au premier coup de dent, valait beaucoup mieux que le breuvage que la faveur de ses gardiens aurait pu lui faire venir de quelque sale café de nuit. Il se sentait dispos et confiant ; à sa banque évidemment il ratait sa matinée, mais, étant donné le poste relativement supérieur qu’il occupait, on l’excuserait facilement. Devrait-il invoquer sa véritable excuse ? Il songeait à le faire. Si on ne voulait pas le croire, ce qui était assez naturel, il pourrait prendre comme témoins Mme Grubach ou les deux vieillards qui venaient maintenant de se mettre en marche pour se poster à la fenêtre en face de sa chambre. En se plaçant au point de vue de ses gardiens, K. restait étonné qu’on le renvoyât et qu’on le laissât seul dans sa chambre où il avait tant de facilités de se tuer. Mais, en même temps, il se demandait, en se plaçant à son propre point de vue, quelle raison il pourrait bien avoir de le faire. Ce ne pouvait tout de même pas être parce que ces deux hommes mangeaient son déjeuner dans la pièce voisine ! Il eût été si insensé de se suicider que, même s’il avait voulu le faire, il l’eût trouvé tellement stupide qu’il n’y serait jamais parvenu. Si ces gardiens n’avaient pas été des gens aussi visiblement bornés, on eût pu penser que c’était pour la même raison qu’ils ne voyaient pas de danger à le laisser seul. Ils pouvaient bien le regarder, si cela leur faisait plaisir ! Ils le verraient aller chercher un bon vieux schnaps qu’il conservait au fond de son petit placard, vider un verre pour remplacer son déjeuner et un second pour se donner du courage, mais par prudence seulement, pour prévoir l’improbable cas où ce courage serait nécessaire.

À ce moment il eut un tel sursaut d’effroi en s’entendant appeler de la pièce voisine que le verre en choqua ses dents.

« Le brigadier vous fait demander », lui disait-on.

Ce n’était que le cri qui l’avait effrayé, ce cri sec comme un ordre militaire dont il n’eut jamais cru capable le gardien Franz. Quant à l’ordre lui-même, il lui faisait plaisir ; il répondit « enfin ! » sur un ton de soulagement, ferma à clef le petit placard et se hâta d’aller dans la pièce voisine. Il trouva là les deux inspecteurs qui le chassèrent et le renvoyèrent immédiatement dans sa chambre comme si ç’eût été tout naturel.

« En voilà des idées, criaient-ils, vous voulez vous présenter en chemise devant le brigadier ? Il vous ferait passer à tabac, et nous aussi par la même occasion.

– Laissez-moi donc tranquille, mille diables, s’écria K. repoussé déjà jusqu’à son armoire ; quand on vient me surprendre au lit, on ne peut tout de même pas s’attendre à me trouver en tenue de bal !

– Nous n’y pouvons rien », dirent les inspecteurs qui devenaient presque tristes chaque fois que K. criait, ce qui le désorientait ou le ramenait un peu à la raison.

« Ridicules cérémonies », grommela-t-il encore, mais il prenait déjà une veste sur le dossier de sa chaise ; il la tint un instant suspendue des deux mains comme pour la soumettre au jugement des inspecteurs. Ils secouèrent la tête.

« Il faut une veste noire », dirent-ils.

Là-dessus, K. jeta sa veste sur le sol et dit, sans savoir lui-même comment il l’entendait :

« Ce n’est pourtant pas le grand débat ! »

Les inspecteurs se mirent à sourire, mais maintinrent :

« Il faut une veste noire.

– Si cela doit accélérer les choses, je le veux bien », déclara K., et il ouvrit lui-même l’armoire, chercha longtemps parmi tous les habits, choisit son plus beau costume noir, une jaquette dont la coupe cintrée avait presque fait sensation parmi ses connaissances, sortit aussi une chemise propre et commença à s’habiller soigneusement. Il pensait même, dans son for intérieur, qu’il avait accéléré les choses en faisant oublier aux inspecteurs de l’obliger à prendre un bain. Il les observa pour savoir s’ils n’allaient pas lui rappeler d’avoir à le faire, mais ils n’y songèrent naturellement pas ; en revanche, Willem n’oublia pas d’envoyer Franz au brigadier pour annoncer que K. s’habillait.

Quand il fut complètement vêtu, il dut traverser la pièce voisine avec Willem sur les talons pour se rendre dans la chambre suivante dont la porte était déjà ouverte à deux battants. Cette chambre, comme K. le savait bien, était occupée depuis peu de temps par une demoiselle Bürstner, dactylographe, qui se rendait de grand matin à son travail pour ne revenir que très tard et avec laquelle K. n’avait guère échangé que des bonjours au passage. La table de nuit qui se trouvait primitivement au chevet du lit avait été poussée au milieu de la chambre pour servir de bureau au brigadier qui se tenait assis derrière. Il avait croisé les jambes et posé un bras sur le dossier de la chaise.

Dans un coin de la chambre, trois jeunes gens regardaient les photographies de Mlle Bürstner ; elles étaient accrochées au mur sur une petite natte. Une blouse blanche pendait à la poignée de la fenêtre ouverte. En face, les deux vieillards étaient revenus voir ; ils se tenaient couchés sur l’appui, mais leur groupe s’était accru ; il y avait maintenant derrière eux un homme qui les dépassait de tout son buste ; sa chemise s’ouvrait sur sa poitrine et il tiraillait sa moustache rousse.

« Joseph K. ? » demanda le brigadier, peut-être simplement pour attirer sur soi les regards distraits de l’inculpé.

K. inclina la tête.

« Vous êtes sans doute fort surpris des événements de ce matin ? » demanda le brigadier en déplaçant des deux mains les quelques objets qui se trouvaient sur la petite table de nuit – la bougie, les allumettes, le livre et la boîte à ouvrage – comme si c’étaient des ustensiles dont il eût besoin pour le débat.

« Certainement, dit K. tout heureux de se trouver en face d’un homme raisonnable et de pouvoir parler de son affaire avec lui ; certainement, je suis surpris, mais je ne dirai pas très surpris.

– Pas très surpris ? demanda le brigadier en replaçant la bougie au milieu de la petite table, et en groupant les autres choses tout autour.

– Vous vous méprenez peut-être sur le sens de mes paroles, se hâta d’expliquer K. Je veux dire, – mais il s’interrompit ici pour chercher un siège. – Je puis m’asseoir, n’est-ce pas ? demanda-t-il.

– Ce n’est pas l’usage, répondit le brigadier.

– Je veux dire, répéta K. sans plus s’interrompre, que tout en étant très surpris, il y a trente ans que je suis au monde et qu’ayant dû faire mon chemin tout seul, je suis un peu immunisé contre les surprises ; je ne les prends plus au tragique, surtout celle d’aujourd’hui.

– Pourquoi surtout celle d’aujourd’hui ?

– Je ne veux pas dire que je considère cette histoire comme une plaisanterie ; l’appareil qu’on a déployé me paraît trop important pour cela. Si c’était une farce, il faudrait que tous les gens de la pension en fussent, et vous aussi ; cela dépasserait les limites d’une plaisanterie. Je ne veux donc pas dire que c’en soit une.

– Fort juste, dit le brigadier en comptant les allumettes de la boîte.

– Mais, d’autre part, continua K. en s’adressant à tout le monde – il aurait même beaucoup aimé que les trois amateurs de photographie se retournassent pour écouter aussi – mais d’autre part l’affaire ne saurait avoir non plus beaucoup d’importance. Je le déduis du fait que je suis accusé sans pouvoir arriver à trouver la moindre faute qu’on puisse me reprocher. Mais, ce n’est encore que secondaire. La question essentielle est de savoir par qui je suis accusé ? Quelle est l’autorité qui dirige le procès ? Êtes-vous fonctionnaires ? Nul de vous ne porte d’uniforme, à moins qu’on ne veuille nommer uniforme ce vêtement – et il montrait celui de Franz – qui est plutôt un simple costume de voyage. Voilà les points que je vous demande d’éclaircir ; je suis persuadé qu’au bout de l’explication nous pourrons prendre l’un de l’autre le plus amical congé. »

Le brigadier reposa la boite d’allumettes sur la table.

« Vous faites, dit-il, une profonde erreur. Ces messieurs que voici et moi, nous ne jouons dans votre affaire qu’un rôle purement accessoire. Nous ne savons même presque rien d’elle. Nous porterions les uniformes les plus en règle que votre affaire n’en serait pas moins mauvaise d’un iota. Je ne puis pas dire, non plus, que vous soyez accusé, ou plutôt je ne sais pas si vous l’êtes. Vous êtes arrêté, c’est exact, je n’en sais pas davantage. Si les inspecteurs vous ont dit autre chose, ce n’était que du bavardage. Mais, bien que je ne réponde pas à vos questions, je puis tout de même vous conseiller de penser un peu moins à nous et de vous surveiller un peu plus. Et puis, ne faites pas tant d’histoires avec votre innocence, cela gâche l’impression plutôt bonne que vous produisez par ailleurs. Ayez aussi plus de retenue dans vos discours ; quand vous n’auriez dit que quelques mots, votre attitude aurait suffi à faire comprendre presque tout ce que vous venez d’expliquer et qui ne plaide d’ailleurs pas en votre faveur. »

K. regarda le brigadier avec de grands yeux. Cet homme, qui était peut-être son cadet, lui faisait ici la leçon comme à un écolier. On le punissait par une semonce de sa franchise ? Et on ne lui apprenait rien ni du motif ni de l’autorité qui déterminait son arrestation !

 

 

Bernard Le Bouyer de Fontenelle, Histoire des Oracles 1687

 

Il serait difficile de rendre raison des histoires et des oracles que nous avons rapportés, sans avoir recours aux Démons, mais aussi tout cela est-il bien vrai ? Assurons nous bien du fait, avant de nous inquiéter de la cause. Il est vrai que cette méthode est bien lente pour la plupart des gens, qui courent naturellement à la cause, et passent par-dessus la vérité du fait ; mais enfin nous éviterons le ridicule d'avoir trouvé la cause de ce qui n'est point.
     Ce malheur arriva si plaisamment sur la fin du siècle passé à quelques savants d'Allemagne, que je ne puis m'empêcher d'en parler ici.
     En 1593, le bruit courut que les dents étant tombées à un enfant de Silésie, âgé de sept ans, il lui en était venu une d'or, à la place d'une de ses grosses dents. Horatius, professeur en médecine à l'université de Helmstad, écrivit, en 1595, l'histoire de cette dent, et prétendit qu'elle était en partie naturelle, en partie miraculeuse, et qu'elle avait été envoyée de Dieu à cet enfant pour consoler les chrétiens affligés par les Turcs. Figurez vous quelle consolation, et quel rapport de cette dent aux chrétiens, et aux Turcs. En la même année, afin que cette dent d'or ne manquât pas d'historiens, Rullandus en écrit encore l'histoire. Deux ans après, Ingolsteterus, autre savant, écrit contre le sentiment que Rullandus avait de la dent d'or, et Rullandus fait aussitôt une belle et docte réplique. Un autre grand homme, nommé Libavius, ramasse tout ce qui avait été dit sur la dent, et y ajoute son sentiment particulier. Il ne manquait autre chose à tant de beaux ouvrages, sinon qu'il fût vrai que la dent était d'or. Quand un orfèvre l'eût examinée, il se trouva que c'était une feuille d'or appliquée à la dent avec beaucoup d'adresse ; mais on commença par faire des livres, et puis on consulta l'orfèvre.
     Rien n'est plus naturel que d'en faire autant sur toutes sortes de matières. Je ne suis pas si convaincu de notre ignorance par les choses qui sont, et dont la raison nous est inconnue, que par celles qui ne sont point, et dont nous trouvons la raison. Cela veut dire que non seulement nous n'avons pas les principes qui mènent au vrai, mais que nous en avons d'autres qui s'accommodent très bien avec le faux.

 

 

 

 



 

 

Qu'est-ce que l'autorité?

Ce sont les Romains qui, les premiers, fondent le concept d’autorité. Le mot auctoritas est dérivé du verbe latin augere, qui signifie augmenter, semblant donc induire que l’autorité de ceux qui commandent augmente constamment, ceci étant à mettre en liaison avec le mythe romain de la fondation de la Cité, en perpétuelle construction par les descendants des premiers Romains, les premiers fondant leur autorité sur l’héritage des seconds. A l’inverse du pouvoir (potestas), l’autorité trouve donc ses racines dans le passé. Aussi, pour les Romains, le pouvoir et l’autorité sont-ils deux choses complètement distinctes : « Cum potestas inpopulo auctoritas in senatu sit, tandis que le pouvoir réside dans le peuple, l’autorité appartient au Sénat ».

A contrario, l’autorité, en tant qu’elle découle du lien au passé, est inévitablement liée à la tradition et tant que la tradition se perpétue, l’autorité demeure.

D'une personne qui a de l'autorité, on dit qu'elle pèse lourd ou qu'elle a du poids. Le verbe latin augere, d'où viennent les mots auctoritas et autorité, signifie augmenter. La qualité qui, augmentant une personne, constitue son autorité, peut venir de ses ancêtres, de ses vertus publiques ou de ses succès, à la guerre ou aux élections. L'augmentation peut être ajoutée de l'extérieur par un poste dans une hiérarchie, elle peut aussi être organique. Dans ce cas, elle est parfois telle que la personne qui en est l'objet n'a qu'à paraître pour inspirer le respect et l'obéissance. «Le monde en le voyant eut reconnu son maître» (Racine à propos de Louis XIV).

 Autorité politique » - Article de l'Encyclopédie , Diderot,  1751

                Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du ciel, et chaque individu de la même espèce a le droit d’en jouir aussitôt qu’il jouit de la raison. Si la nature a établi quelque autorité, c’est la puissance paternelle : mais la puissance paternelle a ses bornes, et dans l’état de nature elle finirait aussitôt que les enfants seraient en état de se conduire. Toute autre autorité vient d’une autre origine que de la nature. Qu’on examine bien, et on la fera toujours remonter à l’une de ces deux sources : ou la force et la violence de celui qui s’en est emparé, ou le consentement de ceux qui s’y sont soumis par un contrat fait ou supposé entre eux et celui à qui ils ont déféré l’autorité.
                La puissance qui s’acquiert par la violence n’est qu’une usurpation, et ne dure qu’autant que la force de celui qui commande l’emporte sur celle de ceux qui obéissent ; en sorte que si ces derniers deviennent à leur tour les plus forts et qu’ils secouent le joug, ils le font avec autant de droit et de justice que l’autre qui le leur avait imposé. La même loi qui a fait l’autorité, la défait alors : c’est la loi du plus fort.
                Quelquefois l’autorité qui s’établit par la violence change de nature c’est lorsqu’elle continue et se maintient du consentement exprès de ceux qu’on a soumis ; mais elle rentre par là dans la seconde espèce dont je vais parler ; et celui qui se l’était arrogée, devenant alors prince, cesse d’être tyran.
                La puissance qui vient du consentement des peuples suppose nécessairement des conditions qui en rendent l’usage légitime, utile à la société, avantageux à la république, et qui la fixent et la restreignent entre des limites : car l’homme ne doit ni ne peut se donner entièrement et sans réserve à un autre homme, parce qu’il a un maître supérieur au-dessus de tout, à qui seul il appartient tout entier. C’est Dieu, dont le pouvoir est toujours immédiat sur la créature, maître aussi jaloux qu’absolu, qui ne perd jamais de ses droits, et ne les communique point. Il permet pour le bien commun et pour le maintien de la société, que les hommes établissent entre eux un ordre de subordination, qu’ils obéissent à l’un d’eux : mais il veut que ce soit par raison et avec mesure, et non pas aveuglément et sans réserve, afin que la créature ne s’arroge pas les droits du Créateur. Toute autre soumission est le véritable crime d’idolâtrie. Fléchir le genou devant un homme ou devant une image n’est qu’une cérémonie extérieure, dont le vrai Dieu qui demande le cœur et l’esprit ne se soucie guère, et qu’il abandonne à l’institution des hommes pour en faire, comme il leur conviendra, des marques d’un culte civil et politique, ou d’un culte de religion. Ainsi ce ne sont point ces cérémonies en elles-mêmes, mais l’esprit de leur établissement qui en rend la pratique innocente ou criminelle. 
 

Biographie de Hannah Arendt

Hannah Arendt (Johanna Arendt) est née à Hanovre en Allemagne dans une famille de Juifs laïcs. Elle suit des études de philosophie à Heidelberg où elle a une relation cachée avec son professeur, le philosophe Martin Heidegger (1889-1976). A Fribourg-en-Brisgau, elle suit les cours d'Edmund Husserl (1859-1938) et de Karl Jaspers (1883-1969).

Hannah Arendt fuit le nazisme en 1933 et séjourne en France où elle est la secrétaire particulière de la baronne Germaine de Rothschild. Elle quitte la France en 1940 et après avoir séjourné quelques mois au Portugal, elle parvient à rejoindre les Etats-Unis en 1941. Après être retournée en Allemagne après la guerre pour travailler avec une association d'aide aux rescapés juifs, elle est naturalisée en 1951 citoyenne des États-Unis. Elle commence alors une carrière universitaire comme conférencière et professeur invitée en sciences politiques dans différentes universités.

Hannah Arendt ne se considère pas elle-même comme "philosophe", mais plutôt comme professeure de théorie politique. Sa philosophie politique se situe en dehors des schémas habituels de la pensée politique. "Elle ne forme pas un système philosophique à proprement parler, mais aborde au contraire un ensemble de problématiques variées, dont celles de la révolution, du totalitarisme, de la culture, de la modernité et de la tradition, de la liberté, des facultés de la pensée et du jugement, ou encore de ce qu'elle désigne comme la "vie active", et ses trois composantes que représentent les notions qu'elle forge du travail, de l'oeuvre et de l'action. C'est notamment au travers de la distinction qu'elle opère entre ces trois types d'activités que ressort l'un des axes centraux de sa réflexion, concernant ce qu'est la vie politique et la nature de la politique, thématique qu'elle aborde sous un angle largement phénoménologique, influencé en cela par Heidegger et Jaspers. Elle s'inspire cependant aussi de nombreux autres penseurs pour construire sa philosophie, parmi lesquels Aristote, Augustin, Kant, ou encore Nietzsche." (Wikipédia)

Hannah Arendt et le totalitarisme

Hannah Arendt, qui souhaite construire sa pensée dans la réalité de son époque, s'est intéressée au totalitarisme. Elle publie en 1951 Les Origines du totalitarisme en trois volumes - L'antisémitisme, L'impérialisme, Le système totalitaire - où elle place sur le même plan le stalinisme et le nazisme pour fonder le concept de totalitarisme. Selon Hannah Arendt, le système totalitaire, plus qu'un régime fixe, est d'abord un mouvement, une dynamique pour détruire la réalité et les structures sociales. Pour elle, c'est un mouvement "international dans son organisation, universel dans sa visée idéologique, planétaire dans ses aspirations politiques". Contrairement au régime autoritaire classique qui se limite à un territoire déterminé, un régime totalitaire est à la recherche d'une domination totale et sans limites.

Dans son livre Eichmann à Jérusalem, publié après le procès d'Adolf Eichmann qu'elle a suivi comme envoyée spéciale de The New Yorker, Hannah Arendt développe le concept très controversé de la "banalité du mal". Elle défend l'idée que le criminel de guerre nazi, n'était qu'un homme banal, un fonctionnaire ambitieux et zélé, incapable de distinguer le bien du mal et entièrement soumis à l'autorité. Pour elle, Eichmann croit accomplir son devoir et suit les consignes en cessant de penser, ce qui ne le disculpe nullement de ses crimes. Dans un régime totalitaire, l'idéologie, la propagande et la répression, conduisent des hommes peu différents des hommes ordinaires, à accomplir des actes monstrueux, plus préoccupés à "faire carrière" que par les conséquences de leurs agissements. Plus tard, Stanley Milgram (1933-1984) psychologue social américain s'est appuyé sur le concept de banalité du mal pour expliquer les résultats de sa célèbre expérience de soumission à l'autorité (expérience de Milgram : Cf. Bibliographie Expérience sur l'obéissance et la désobéissance à l'autorité de Stanley Milgram).

Extrait d'un article important d'Hannah Arendt sur la notion d'autorité, qui peut permettre d'initier une réflexion nécessaire sur la question de l'autorité professorale.

Puisque l'autorité requiert toujours l'obéissance, on la prend souvent pour une forme de pouvoir ou de violence. Pourtant l'autorité exclut l'usage de moyens extérieurs de coercition; là où la force est employée, l'autorité proprement dite a échoué. L'autorité, d'autre part, est incompatible avec la persuasion qui présuppose l'égalité et opère par un processus d'argumentation. Là où on a recours à des arguments, l'autorité est laissée de côté. Face à l'ordre égalitaire de la persuasion, se tient l'ordre autoritaire, qui est toujours hiérarchique.

S'il faut vraiment définir l'autorité, alors ce doit être en l'opposant à la fois à la contrainte par force et à la persuasion par arguments. (La relation autoritaire entre celui qui commande et celui qui obéit ne repose ni sur une raison commune, ni sur le pouvoir de celui qui commande; ce qu'ils ont en commun, c'est la hiérarchie elle même, dont chacun reconnaît la justesse et la légitimité, et où tous deux ont d’avance leur place fixée.) 

Hannah Arendt, La crise de la culture, « Qu’est-ce que l’autorité ? » (extrait)

 

Définition de hiérarchie

  • Etymologie : du grec hieros, sacré et de arkhê, pouvoir, commandement.
  • Dans son sens originel, la hiérarchie désigne l'ordre et la subordination des différents niveaux de l'organisation ecclésiastique.
  • Etendue à l'organisation de tout groupe humain ou animal, la hiérarchie est l'ordonnancement de ce groupe tel que chacun de ses membres est subordonné à un autre (qui le précède dans la hiérarchie). Elle définit l'échelle des pouvoirs, des statuts.
    Exemples : la hiérarchie militaire, la hiérarchie des pouvoirs, la hiérarchie en entreprise.

Les dérives de l'autorité de la parole

Le loup et l'agneau, Esope

Ésope (en grec ancien Αἴσωπος / Aísôpos) est un écrivain grec de Thrace qui aurait vécu au VIIe-VIe siècle avant J.-C. Il serait l'inventeur de la fable comme genre littéraire.
Au XVIIe siècle, Jean de La Fontaine reprend ses fables, pour en faire des bijoux de la langue française.

La fable d'Esope, en grec ancien :

Λύκος καὶ ἀρήν.

Λύκος θεασάμενος ἄρνα ἀπό τινος ποταμοῦ πίνοντα, τοῦτον ἐβουλήθη μετά τινος εὐλόγου αἰτίας καταθοινήσασθαι. Διόπερ στὰς ἀνωτέρω ᾐτιᾶτο αὐτὸν ὡς θολοῦντα τὸ ὕδωρ καὶ πιεῖν αὐτὸν μὴ ἐῶντα. Τοῦ δὲ λέγοντος ὡς ἄκροις τοῖς χείλεσι πίνει καὶ ἄλλως οὐ δυνατὸν κατωτέρω ἑστῶτα ἐπάνω ταράσσειν τὸ ὕδωρ, ὁ λύκος ἀποτυχὼν ταύτης τῆς αἰτίας ἔφη· «Ἀλλὰ πέρυσι τὸν πατέρα μου ἐλοιδόρησας.» Εἰπόντος δὲ ἐκείνου μηδὲ τότε γεγενῆσθαι, ὁ λύκος ἔφη πρὸς αὐτόν· «Ἐὰν σὺ ἀπολογιῶν εὐπορῇς, ἐγώ σε οὐχ ἧττον κατέδομαι.»
Ὁ λόγος δηλοῖ ὅτι οἷα ἡ πρόθεσίς ἐστιν ἀδικεῖν, παρ᾿ αὐτοῖς οὐδὲ δικαία ἀπολογία ἰσχύει.

   

Le Loup et l'agneau

Un loup, voyant un agneau qui buvait à une rivière, voulut alléguer un prétexte spécieux pour le dévorer. C’est pourquoi, bien qu’il fût lui-même en amont, il l’accusa de troubler l’eau et de l’empêcher de boire. L’agneau répondit qu’il ne buvait que du bout des lèvres, et que d’ailleurs, étant à l’aval, il ne pouvait troubler l’eau à l’amont. Le loup, ayant manqué son effet, reprit : « Mais l’an passé tu as insulté mon père. — Je n’étais pas même né à cette époque, » répondit l’agneau. Alors le loup reprit : « Quelle que soit ta facilité à te justifier, je ne t’en mangerai pas moins. »
Cette fable montre qu’auprès des gens décidés à faire le mal la plus juste défense reste sans effet.

            
D'après le recueil bilingue de Chambry (édité aux Belles Lettres en 1925)     Traduction  d'Emile Chambry

 

Le loup et l'agneau, La Fontaine

    La raison du plus fort est toujours la meilleure :
            Nous l'allons montrer tout à l'heure.

            Un agneau se désaltérait
            Dans le courant d'une onde pure.
Un loup survient à jeun, qui cherchait aventure,
        Et que la faim en ces lieux attirait.
"Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage?
            Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
   -Sire, répond l'agneau, que Votre Majesté
            Ne se mette pas en colère ;
            Mais plutôt qu'elle considère
            Que je me vas désaltérant
                    Dans le courant,
            Plus de vingt pas au-dessous d'Elle ;
Et que par conséquent, en aucune façon,
            Je ne puis troubler sa boisson.
    - Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
    -Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ?
        Reprit l'agneau ; je tette* encor ma mère
            -Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
        - Je n'en ai point. -C'est donc quelqu'un des tiens :
            Car vous ne m'épargnez guère,
            Vous, vos bergers et vos chiens.
On me l'a dit : il faut que je me venge."
            Là-dessus, au fond des forêts
            Le loup l'emporte et puis le mange,
            Sans autre forme de procès.

" La novlangue", 1984,  Orwell

– Comment va le dictionnaire ? demanda Winston en élevant la voix pour dominer le bruit.

– Lentement, répondit Syme. J’en suis aux adjectifs. C’est fascinant.

– Le visage de Syme s’était immédiatement éclairé au seul mot de dictionnaire. Il poussa de côté le récipient qui avait contenu le ragoût, prit d’une main délicate son quignon de pain, de l’autre son fromage et se pencha au-dessus de la table pour se faire entendre sans crier.

– La onzième édition est l’édition définitive, dit-il. Nous donnons au novlangue sa forme finale, celle qu’il aura quand personne ne parlera plus une autre langue. Quand nous aurons terminé, les gens comme vous devront le réapprendre entièrement.

Vous croyez, n’est-ce pas, que notre travail principal est d’inventer des mots nouveaux ? Pas du tout ! Nous détruisons chaque jour des mots, des vingtaines de mots, des centaines de mots. Nous taillons le langage jusqu’à l’os. La onzième édition ne renfermera pas un seul mot qui puisse vieillir avant l’année 2050.

Il mordit dans son pain avec appétit, avala deux bouchées, puis continua à parler avec une sorte de pédantisme passionné. Son mince visage brun s’était animé, ses yeux avaient perdu leur expression moqueuse et étaient devenus rêveurs.

– C’est une belle chose, la destruction des mots. Naturellement, c’est dans les verbes et les adjectifs qu’il y a le plus de déchets, mais il y a des centaines de noms dont on peut aussi se débarrasser. Pas seulement les synonymes, il y a aussi les antonymes. Après tout, quelle raison d’exister y a-t-il pour un mot qui n’est que le contraire d’un autre ? Les mots portent en eux-mêmes leur contraire. Prenez « bon », par exemple. Si vous avez un mot comme « bon » quelle nécessité y a-t-il à avoir un mot comme « mauvais » ? « Inbon » fera tout aussi bien, mieux même, parce qu’il est l’opposé exact de bon, ce que n’est pas l’autre mot. Et si l’on désire un mot plus fort que « bon », quel sens y a-t-il à avoir toute une chaîne de mots vagues et inutiles comme « excellent », « splendide » et tout le reste ? « Plusbon » englobe le sens de tous ces mots, et, si l’on veut un mot encore plus fort, il y a « double-plusbon ». Naturellement, nous employons déjà ces formes, mais dans la version définitive du novlangue, il n’y aura plus rien d’autre. En résumé, la notion complète du bon et du mauvais sera couverte par six mots seulement, en réalité un seul mot. Voyez-vous, Winston, l’originalité de cela ? Naturellement, ajouta-t-il après coup, l’idée vient de Big Brother.

Au nom de Big Brother, une sorte d’ardeur froide flotta sur le visage de Winston. Syme, néanmoins, perçut immédiatement un certain manque d’enthousiasme.

– Vous n’appréciez pas réellement le novlangue, Winston, dit-il presque tristement. Même quand vous écrivez, vous pensez en ancilangue. J’ai lu quelques-uns des articles que vous écrivez parfois dans le Times. Ils sont assez bons, mais ce sont des traductions. Au fond, vous auriez préféré rester fidèle à l’ancien langage, à son imprécision et ses nuances inutiles. Vous ne saisissez pas la beauté qu’il y a dans la destruction des mots. Savez-vous que le novlangue est la seule langue dont le vocabulaire diminue chaque année ?

Winston l’ignorait, naturellement. Il sourit avec sympathie, du moins il l’espérait, car il n’osait se risquer à parler.

Syme prit une autre bouchée de pain noir, la mâcha rapidement et continua :

– Ne voyez-vous pas que le véritable but du novlangue est de restreindre les limites de la pensée ? À la fin, nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer. Tous les concepts nécessaires seront exprimés chacun exactement par un seul mot dont le sens sera délimité. Toutes les significations subsidiaires seront supprimées et oubliées. Déjà, dans la onzième édition, nous ne sommes pas loin de ce résultat. Mais le processus continuera encore longtemps après que vous et moi nous serons morts. Chaque année, de moins en moins de mots, et le champ de la conscience de plus en plus restreint. Il n’y a plus, dès maintenant, c’est certain, d’excuse ou de raison au crime par la pensée. C’est simplement une question de discipline personnelle, de maîtrise de soi-même. Mais même cette discipline sera inutile en fin de compte. La Révolution sera complète quand le langage sera parfait. Le novlangue est l’angsoc et l’angsoc est le novlangue, ajouta-t-il avec une sorte de satisfaction mystique. Vous est-il jamais arrivé de penser, Winston, qu’en l’année 2050, au plus tard, il n’y aura pas un seul être humain vivant capable de comprendre une conversation comme celle que nous tenons maintenant ?

– Sauf..., commença Winston avec un accent dubitatif, mais il s’interrompit.

Il avait sur le bout de la langue les mots : « Sauf les prolétaires », mais il se maîtrisa. Il n’était pas absolument certain que cette remarque fût tout à fait orthodoxe. Syme, cependant, avait deviné ce qu’il allait dire.

– Les prolétaires ne sont pas des êtres humains, dit-il négligemment. Vers 2050, plus tôt probablement, toute connaissance de l’ancienne langue aura disparu. Toute la littérature du passé aura été détruite. Chaucer, Shakespeare, Milton, Byron n’existeront plus qu’en versions novlangue. Ils ne seront pas changés simplement en quelque chose de différent, ils seront changés en quelque chose qui sera le contraire de ce qu’ils étaient jusque-là. Même la littérature du Parti changera. Même les slogans changeront. Comment pourrait-il y avoir une devise comme « La liberté c’est l’esclavage » alors que le concept même de la liberté aura été aboli ? Le climat total de la pensée sera autre. En fait, il n’y aura pas de pensée telle que nous la comprenons maintenant. Orthodoxie signifie non-pensant, qui n’a pas besoin de pensée, l’orthodoxie, c’est l’inconscience.

« Un de ces jours, pensa soudain Winston avec une conviction certaine, Syme sera vaporisé. Il est trop intelligent. Il voit trop clairement et parle trop franchement. Le Parti n’aime pas ces individus-là. Un jour, il disparaîtra. C’est écrit sur son visage. »

Elements de linguistique pour l'étude de la novlangue

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L'expérience de Milgram

L'expérience de Milgram (documentaire complet FR 1h10)

Extrait "Le jeu de la mort" (France 4) Documentaire

France 2 a diffusé le 17 mars 2010 à 20h 35 un faux jeu (zone Xtrême) mais avec de vrais candidats pour dénoncer la télé-réalité et ses dérives et ainsi démontrer le pouvoir d’asservissement de la télévision.

L’expérience de Milgram est transposée dans ce jeu.

Sept scientifiques encadrent ce projet, dont Jean-Léon Beauvois, professeur de psychologie sociale, Didier Courbet, chercheur en sciences de l’information et de la communication et Dominique Oberlé. Assistés par de jeunes doctorants, ils veillent à la validité scientifique du projet et au respect de l’expérience de Milgram.

Jean-Léon Beauvois explique qu’il ne pensait pas que la télévision était une autorité légitime, comme l’est la science dans l’expérience de Milgram, il pensait que la télé ne pouvait pas prescrire.

Dans ce jeu, le « scientifique en blouse blanche » est remplacé par une animatrice.

Le "public", absent de l’expérience originale, est présent.

Voir la deuxième partie de l'émission: "le temps de cerveau disponible"

Tania Young, animatrice de télévision, a remplacé la figure d'autorité qu'incarnait le scientifique en blouse blanche dans l'expérience originale. Tout comme lui à l'époque, ses injonctions à poursuivre étaient restreintes ("Ne vous laissez pas impressionner, il faut continuer", "vous devez continuez, c'est la règle" ou encore "la logique du jeu veut que vous continuiez").

Si Milgram avait obtenu 62% de soumission (personne allant jusqu'au choc maximal), c'est plus de 80% que l'on retrouve pour cette adaptation moderne.

Tout comme dans l'expérience de Milgram, plusieurs variantes ont été réalisées:

  1. Les participants pensaient participer à un test qui ne passerait pas à la télévision
  2. Les participants pensaient participer à un test qui passerait à la télévision
  3. A 200 volts, une fausse assistante intervenait et contestait le principe du jeu en demandant d'arrêter. Elle se retirait après avoir été remise à sa place par l'animatrice.
  4. L'animatrice laissait le participant "seul" après que ce dernier ait administré le choc de 80 volts en lui précisant qu'il était le maître du jeu.

Contrairement à l'expérience originale, les variantes ont obtenue de forts taux de soumission puisque 70% des participants ont acceptés de continuer à administrer les chocs jusqu'au terme de l'expérience. Seule la dernière variante a enregistré que seul 28% des gens sont allé jusqu'à 460 volts.

 A la fin de son ouvrage, Milgram écrivait:

"Je suis certain que l'obéissance et la désobéissance ont pour origine un aspect complexe de la personnalité, mais je sais que nous ne l'avons pas encore trouvé."

En effet, ses résultats de l'époque s'expliquaient par la situation expérimentale.

L'expérience de 2010 a pu dégager des variables de la personnalité.

La grande majorité des participants ont été recontactés plus de 8 mois après leur passage à la fausse émission de télé réalité pour répondre à un "sondage d'opinion" organisé par l'université de Grenoble. Ce laps de temps permettait qu'ils ne fassent pas le lien entre les deux. Ce n'est qu'à la fin de l'enquête téléphonique qu'on leur faisait savoir et on leur demandait si les résultats de la présente enquête pouvaient être analysés pour faire lien avec leur précédente expérience télévisuelle.

L'échelle dite de personnalité utilisée a été empreintée à Costa et Mc Crae (souvent employée) et qui dégage un modèle en 5 facteurs:

L'amabilité

Personne amicale, serviable, généreuse, confiante.
tendance à être compatissant et coopératif. Plus une personne est agréable, plus elle aura tendance à se soumettre aux attentes des autres et donc à l'autorité

Esprit consciencieux

Personne organisée, autodisciplinée, méticuleuse, orientée vers des buts. Plus cette dimension est importante, plus l'individu va se soumettre à l'autorité

L'ouverture

Personne ouverte aux expériences, imaginative, curieuse, créative et peu conventionnelle. Cette dimension n'a pas de lien avec la soumission à l'autorité

L'extraversion

Personne sociable, active, aimant le contact, tournée vers l'action et aimant attirer l'attention. Cette dimension n'a pas de lien avec la soumission à l'autorité

La stabilité émotionnelle

Personne ayant des dispositions aux émotions positives, calme, détendue.

C'est le contraire du névrotisme. Cette dimension n'a pas de lien avec la soumission à l'autorité

On voit donc que ce sont les deux premiers facteurs qui ont une influence sur la soumission à l'autorité.

Pour un tiers des sujets, ce sont leurs conjoints qui ont décrit leur partenaire, ce qui a permis aux auteurs de vérifier que la façon dont les sujets se perçoivent était cohérente avec la vision d'un proche.

On s'éloigne donc d'une position situationniste radicale bien que les traits de personnalités sont bien moins déterminants que la situation pour ce qui est de la soumission.

Dans cette étude, plus les sujets se caractérisaient par un niveau élevé d'esprit consciencieux, plus le niveau moyen des chocs électriques délivrés était élevé.

Les mêmes résultats étaient observés pour le niveau d'agréabilité, également appelé "soumission amicale".

On sait que ces deux traits induisent moins d'agressivité, de prise de risques (sexuelles, liées aux drogues) et sont liés à l'ambition, à des compétences parentales élevées et à un niveau d'étude important. Ainsi, cela correspond davantage à des personnes bien intégrées socialement.

Ces "personnalités" ont beaucoup plus de difficultés à désobéir et l'on peut interpréter cela comme une indication sur ce que l'on peut attendre de quelqu'un dans un système social donné. Les gens les plus internes se retrouvent davantage dans les plus hautes classes sociales. L'internalité n'est pas sans rapport avec la soumission. Ici, plus les individus avaient un score élevé sur l'échelle d'internalité utilisée, plus les chocs électriques étaient violents.

Les auteurs ont également trouvé un lien entre le bien être subjectif et la soumission: Moins les sujets se déclaraient  "heureux", et plus ils se rebellaient.

Deux variables d'attitudes politiques ont également joué sur la soumission dans cette étude. Il semble que les femmes orientées politiquement à droite administrent des chocs électriques moyens plus élevés que les femmes orientés à gauche (422 volts contre 344 volts). Les résultats des hommes suivent cette tendance mais les différences ne sont pas statistiquement  significatives.

Un lien a été trouvé entre l'activisme politique et la rébellion. Les personnes ayant déjà ou étant enclin à réaliser des actes de contestations politiques (signature de pétitions, boycott, manifestation, grève, occupation de bureau...) refusaient plus rapidement de poursuivre le jeu.

Gorgias, Platon

GORGIAS. Et si tu savais tout, Socrate, si tu savais que la rhétorique embrasse, pour ainsi dire, la vertu de tous les autres arts ! Je vais t’en donner une preuve bien frappante. Je suis souvent entré, avec mon frère et d’autres médecins, chez certains malades qui ne voulaient point ou prendre une potion, ou souffrir qu’on leur appliquât le fer ou le feu. Le médecin ne pouvant rien gagner sur leur esprit, j’en suis venu à bout, moi, sans le secours d’aucun autre art que de la rhétorique. J’ajoute que, si un orateur et un médecin se présentent dans une ville, et qu’il soit question de disputer de vive voix devant le peuple, ou devant quelque autre assemblée, sur la préférence entre l’orateur et le médecin, on ne fera nulle attention à celui-ci, et l’homme qui a le talent de la parole sera choisi, s’il entreprend de l’être. Pareillement, dans la concurrence avec un homme de toute autre profession, l’orateur se fera choisir préférablement à qui que ce soit, parce qu’il n’est aucune matière sur laquelle il ne parle en présence de la multitude d’une manière plus persuasive que tout autre artisan, quel qu’il soit. Telle est l’étendue et la puissance de la rhétorique. Il faut cependant, Socrate, user de la rhétorique, comme on use des autres exercices : car, parce qu’on a appris le pugilat, le pancrace, le combat avec des armes véritables, de manière à pouvoir vaincre également ses amis et ses ennemis, on ne doit pas pour cela frapper ses amis, les percer ni les tuer ; mais, certes, il ne faut pas non plus, parce que quelqu’un ayant fréquenté les gymnases, s’y étant fait un corps robuste, et étant devenu bon lutteur, aura frappé son père ou sa mère, ou quelque autre de ses parents ou de ses amis, prendre pour cela en aversion et chasser des villes les maîtres de gymnase et d’escrime ; car ils n’ont dressé leurs élèves à ces exercices qu’afin qu’ils en fissent un bon usage contre les ennemis et les médians, pour la défense, et non pour l’attaque, et ce sont leurs élèves qui, contre leur intention, usent mal de leur force et de leur adresse ; il ne s’ensuit donc pas que les maîtres soient mauvais, non plus que l’art qu’ils professent, ni qu’il en faille rejeter la faute sur lui ; mais elle retombe, ce me semble, sur ceux qui en abusent. On doit porter le même jugement de la rhétorique. L’orateur est, à la vérité, en état de parler contre tous et sur toute chose ; en sorte qu’il sera plus propre que personne à persuader en un instant la multitude sur tel sujet qu’il lui plaira ; mais ce n’est pas une raison pour lui d’enlever aux médecins ni aux autres artisans leur réputation, parce qu’il est en son pouvoir de le faire. Au contraire, on doit user de la rhétorique comme des autres exercices, selon les règles de la justice. Et si quelqu’un, s’étant formé à l’art oratoire, abuse de cette faculté et de cet art pour commettre une action injuste, on n’est pas, je pense, en droit pour cela de haïr et de bannir des villes le maître qui lui a donné des leçons : car il ne lui a mis son art entre les mains qu’afin qu’il s’en servît pour de justes causes ; et l’autre en fait un usage tout opposé. C’est donc le disciple qui abuse de l’art qu’on doit haïr, chasser, faire mourir, et non pas le maître.[…]

SOCRATE. Pour moi, j’ignore si la rhétorique que Gorgias professe est ce que j’ai en vue ; d’autant plus que la discussion précédente ne nous a pas découvert clairement ce qu’il pense. Quant à ce que j’appelle rhétorique, c’est une partie d’une certaine chose qui n’est pas du tout belle.

GORGIAS. De quelle chose, Socrate ? dis, et ne crains point de m’offenser.

SOCRATE. Il me paraît donc, Gorgias, que c’est une profession, où l’art n’entre à la vérité pour rien, mais qui suppose dans une âme du tact, de l’audace, et de grandes dispositions naturelles à converser avec les hommes. J’appelle flatterie le genre auquel cette profession se rapporte

Platon, Ion . Le poète et la muse

Platon, Ion ( vers 380 avant J-C)

«Tous les poètes, auteurs de vers épiques - je parle des bons poètes- ne sont pas tels par l'effet d'un art, mais c'est inspirés par le dieu et possédés par lui qu'ils profèrent tous ces beaux poèmes. La même chose se produit aussi chez les poètes lyriques, chez ceux qui sont bons. Comme les Corybantes 1qui se mettent à danser dès qu'ils ne sont plus en possession de leur raison, ainsi font les poètes lyriques: C'est quand ils n'ont plus leur raison qu'ils se mettent à composer ces beaux poèmes lyriques. Davantage, dès qu'ils ont mis le pied dans l'harmonie et dans le rythme, aussitôt ils sont pris de transports bacchiques et se trouvent possédés. Tout comme les Bacchantes qui vont puiser aux fleuves du miel et du lait quand elles sont possédées du dieu, mais non plus quand elles ont recouvré leur raison. C'est bien ce que fait aussi l'âme des poètes lyriques, comme ils le disent eux-mêmes. Car les poètes nous disent à nous - tout le monde sait cela -, que, puisant à des sources de miel alors qu'ils butinent sur certains jardins et vallons des Muses, ils nous en rapportent leurs poèmes lyriques et, comme les abeilles, voilà que eux aussi se mettent à voltiger. Là, ils disent la vérité. Car c’est chose légère que le poète, ailée, sacrée ; il n’est pas en état de composer avant de se sentir inspiré par le dieu d’avoir perdu la raison et d’être dépossédé de l'intelligence qui est en lui. Mais aussi longtemps qu'il garde cette possession-là, il n'y a pas un homme qui soit capable de composer une poésie ou de chanter des oracles.
      Or comme ce n’est pas grâce à un art que les poètes composent et énoncent tant de beautés sur les sujets dont ils traitent - non plus que toi quand tu parles d'Homère - mais que c’est par une faveur divine, chaque poète ne peut faire une belle composition que dans la voie où la Muse l’a poussé : tel poète, dans les dithyrambes tel autre dans les éloges, celui-ci dans les chants de danse, celui-là dans les vers épiques, un dernier, dans les iambes. Autrement, quand ces poètes s’essaient à composer dans les autres genres poétiques, voilà que chacun d’eux redevient un poète médiocre. Car ce n'est pas grâce à un art que les poètes profèrent leurs poèmes, mais grâce à une puissance divine. En effet, si c'était grâce à un art qu'ils savaient bien parler dans un certain style ; ils sauraient bien parler dans tous les autres styles aussi.
      Mais la raison pour laquelle le dieu, ayant ravi leur raison, les emploie comme des serviteurs pour faire d’eux des chanteurs d’oracles et des devins inspirés des dieux, est la suivante: c'est pour que nous, qui les écoutons, nous sachions que ce ne sont pas les poètes, qui n’ont plus leur raison, qui disent ces choses d'une si grande valeur, mais que c’est le dieu lui-même qui parle et qui par l'intermédiaire de ces hommes nous fait entendre sa voix.

 

Médée, Sénèque

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Médée est fille du roi de Colchide – détenteur de la Toison d’Or – et de l’Océanide Idye. Elle est donc à la fois d’ascendance royale et divine. Médée est une puissante magicienne et elle est prêtresse de la déesse Hécate (représentante de la lune noire, symbole de la mort).

Lors de la venue des Argonautes en Colchidie, qui sont à la recherche de la Toison d’Or, elle tombe éperdument amoureuse de Jason. Elle l’aide alors dans sa quête, en opposition à son père. Y étant parvenus, Médée s’enfuit alors avec Jason, non sans assassiner au préalable et dépecer son propre frère !

Une fois parvenus en Thessalie, le roi Pélias refuse le trône à Jason malgré sa réussite dans la quête de la Toison d’Or. Usant de ses pouvoirs magiques, Médée parviendra à le fera assassiner puis manger par ses propres filles !

Médée et Jason se réfugient ensuite à Corinthe où ils auront deux enfants. Au bout de quelques années, Jason répudie Médée pour épouser Glaucé la fille du roi. Médée tue alors la prétendante, incendie le palais et égorge ses propres enfants avant de s’enfuir sur un char céleste.

1er extrait

les sortilèges de Médée (v. 740-848) MÉDÉE.

— Je vous invoque, ombres silencieuses, divinités funèbres, aveugle Chaos, ténébreux palais du roi des enfers, cavernes de la mort défendues par les fleuves du Tartare ! Âmes coupables, arrachez-vous un instant à vos supplices et venez assister à ce nouvel hymen ! Que la roue qui déchire les membres d'Ixion1 s'arrête et le laisse toucher la terre ; que Tantale puisse enfin boire au gré de son envie les eaux de Pirène. Il me faut pour le beau-père de mon époux2 le plus affreux de vos tourments. Que le rocher roulant de Sisyphe cesse de fatiguer ses bras ; et vous, Danaïdes, qui vous consumez en vain à remplir vos tonneaux, venez toutes, l'œuvre qui doit s'accomplir en ce jour est digne de vous ! Et toi, qu'appellent mes enchantements, astre des nuits, descends sur la terre sous la forme la plus sinistre, et avec toutes les terreurs qu'inspirent tes trois visages3 ! C'est pour toi que, suivant l'usage de mon pays, brisant les nœuds qui retiennent ma chevelure, j'ai erré pieds nus dans les forêts solitaires, fait tomber la pluie par un ciel sans nuages, abaissé les mers et contraint l'Océan de refouler ses vagues impuissantes jusque dans ses plus profonds abîmes. J'ai, par ma puissance, troublé l'harmonie des mondes, fait luire en même temps le flambeau du jour et les astres de la nuit, et forcé l'Ourse du pôle à se plonger dans les flots qu'elle ne doit jamais toucher4 . J'ai changé l'ordre des saisons ; j'ai fait naître les fleurs du printemps parmi les feux de l'été et montré des moissons inconnues sous les glaces de l'hiver. J'ai forcé les flots impétueux du Phase à remonter vers leur source ; j'ai arrêté le cours du Danube et enchaîné ses ondes menaçantes qui s'écoulent par tant de bras ; j'ai fait gronder les flots, j'ai soulevé les mers sans le secours des vents. Au seul bruit de ma voix, une antique et sombre forêt a perdu son ombrage ; le soleil, interrompant sa carrière, s'est arrêté au milieu du ciel ; les Hyades5 vacillent à mes terribles accents. Il est temps, Hécate, de venir assister à tes noirs sacrifices. C'est pour toi que, d'une main sanglante, j'ai formé cette couronne qu'entoure neuf fois le serpent qui fut un des membres du géant Typhée, dont la révolte ébranla le trône de Jupiter. C'est ici le sang d'un perfide ravisseur que Nessus donna en mourant à Déjanire ; c'est ici la cendre du bûcher de l'Œta ; elle est imprégnée du poison qui consuma le corps d'Hercule. Tu vois ici le tison d'Althée6 , sœur tendre autant que mère impie dans sa vengeance. Voici les plumes des Harpyes laissées par elles dans un antre inaccessible, en fuyant la poursuite de Zétès7 ; en voici d'autres arrachées aux oiseaux du Stymphale, blessés par les flèches trempées dans le sang de l'hydre de Lerne. Mais l'autel retentit : je reconnais ses trépieds qu'agite une déesse favorable. Je vois le char rapide d'Hécate, non celui qu'elle guide à travers les nuits quand son visage forme un cercle parfait de lumière argentée, mais celui qu'elle monte quand, vaincue par les enchantements des magiciennes de Thessalie, elle prend une figure sombre et effrayante et resserre la courbe qu'elle doit décrire dans le ciel. J'aime cette lumière pâle et blafarde que tu verses dans les airs, ô déesse ; frappe les nations d'une horreur inconnue ; le son des bronzes corinthiens va venir à ton secours ; je t'offre un sacrifice solennel sur des gazons sanglants, et j'en allume le feu nocturne avec cette torche retirée du milieu des tombeaux. C'est pour toi qu'en tournant ainsi ma tête je prononce les paroles sacrées ; c'est pour toi que mes cheveux épars sont à peine retenus par une bandelette flottante, comme dans la cérémonie des funérailles ; c'est pour toi que je secoue ce rameau trempé dans les eaux du Styx ; c'est pour toi que, découvrant mon sein jusqu'à la ceinture, je vais me percer les bras avec ce couteau sacré et répandre mon sang sur l'autel. Accoutume-toi, ma main, à tirer le glaive et à faire couler un sang qui m'est cher8 . Je me suis frappée, et la liqueur sacrée s'est répandue. Si tu trouves que je t'invoque trop souvent, Hécate fille de Persès, pardonne à mes prières importunes. Aujourd'hui, comme toujours, c'est Jason qui me force d'implorer ton assistance. Pénètre d'un venin puissant cette robe que je destine à Créüse ; et qu'aussitôt qu'elle l'aura revêtue, il en sorte une flamme active qui dévore jusqu'à la moelle de ses os. J'ai enfermé dans ce collier d'or un feu invisible que j'ai reçu de Prométhée, si cruellement puni pour le vol qu'il a fait au ciel et qui m'a enseigné l'art d'en combiner la puissance funeste. Vulcain aussi m'a donné un autre feu caché sous une mince enveloppe de soufre. J'ai de plus des feux vivants de la foudre tirés du corps de Phaéton9 , enfant du Soleil ainsi que moi. J'ai des flammes de la Chimère ; j'en ai d'autres qui viennent de la poitrine embrasée du taureau de Colchide ; je les ai mêlées avec le fiel de Méduse, pour leur conserver toute leur vertu. Augmente l'énergie de ces poisons, divine Hécate ! nourris les semences de feu que recèlent ces présents que je veux offrir; fais qu'elles échappent à la vue et résistent au toucher ; que la chaleur entre dans le sein et dans les veines de ma rivale ; que ses membres se décomposent, que ses os se dissipent en fumée et que la chevelure embrasée de cette nouvelle épouse jette plus de flammes que les torches de son hymen1 ! Mes vœux sont exaucés : l'audacieuse Hécate a fait entendre un triple aboiement ; les feux de sa torche funèbre ont donné le signal. Le charme est accompli : il faut appeler mes enfants, qui porteront de ma part ces dons précieux à ma rivale.

1 Ixion, Tantale, Sisyphe et les Danaïdes sont des criminels condamnés à un châtiment éternel aux enfers. 2 Périphrase paradoxale pour désigner Créon. 3 Désignation d’Hécate (voir note 4 du texte 1) qui est aussi la Lune. 4 La grande et la petite Ourses restent normalement visibles en toute saison. 5 Constellation printanière annonciatrice de pluie. 6 Althée possédait un tison dont la combustion devait annoncer la mort de son fils Méléagre ; après que celui-ci eut tué les frères de sa mère, Althée enflamma le tison puis elle se pendit. 7 Les Harpyes, divinités ailées voleuses d’enfants, ont été poursuivies par Zétès et son frère qui moururent en les éliminant. 8 Allusion au meurtre à venir de ses enfants. 9 Fils du Soleil, il conduisit de façon désastreuse le char de son père et mourut foudroyé par Zeus. 22

2ème extrait

MÉDÉE.

Moi, fuir! Si j'étais partie d'abord, je reviendrais pour ce spectacle. J'aime à voir la cérémonie de ce nouvel hymen. O mon âme, pourquoi t'arrêter? Poursuis, après un si heureux commencement. Cette joie que tu goûtes n'est qu'une faible partie de ta vengeance. Tu aimes encore, insensée que tu es, si c'est assez pour toi d'avoir privé Jason d'une épouse. Il faut chercher pour lui un châtiment encore ignoré, qui sera pour toi-même un témoignage de ta puissance. Il faut briser les liens les plus sacrés, étouffer tout remords. La vengeance est peu de chose, quand elle ne laisse aucune tache aux mains qui l'exercent.

Ranime tes ressentiments, attise ta colère, et cherche dans le fond de ton cœur tout ce qui s'y est amassé de violence et de fureur. Que tout ce que tu as fait jusqu'ici paraisse juste et honnête à côté de ce que tu vas faire. Allons, il faut montrer combien légers, combien vulgaires sont les crimes que j'ai commis pour un autre. Ce n'était que le prélude et l'essai de mes propres vengeances. Quel grand forfait pouvait commettre ma main sans expérience? que pouvait la fureur d'une vierge timide? Maintenant je suis Médée, et mon génie s'est fortifié dans le crime.

Oui, je m'applaudis maintenant d'avoir coupé la tête de mon frère ; je m'applaudis d'avoir mis son corps en pièces, et dépouillé mon père de son mystérieux trésor. Je m'applaudis d'avoir armé les mains des fils de Pélias contre les jours de leur vieux père. Cherche le but que tu veux frapper, ô ma colère, il n'est plus de crime que ma main ne puisse exécuter. Où vas-tu adresser tes coups? et de quels traits veux-tu accabler ton perfide ennemi? J'ai formé dans mon cœur je ne sais quelle résolution fatale que je n'ose encore m'avouer à moi-même. Insensée que je suis! j'ai trop hâté ma vengeance. Plût au ciel que mon parjure époux eût quelques enfants de ma rivale ! Mais ceux que tu as de lui, suppose qu'ils sont nés de Creuse. J'aime cette vengeance, et c'est avec raison que je l'aime ; car c'est le crime qui doit couronner tous mes crimes. Mon âme, allons, prépare-toi : enfants, qui fûtes autrefois les miens, c'est à vous d'expier les forfaits de votre père.

Mais je frémis ; une froide horreur glace tous mes membres, et mon cœur se trouble. La colère est sortie de mon sein, et la vengeance de l'épouse a fait place à toutes les affections de la mère. Quoi ! je répandrais le sang de mes fils, des enfants que j'ai mis au monde? C'en est trop, ô mon âme égarée ; ce forfait inouï, ce meurtre abominable, je ne veux pas le commettre. Quel est le crime de ces malheureux enfants? Leur crime, c'est d'avoir Jason pour père, et surtout Médée pour mère. Qu'ils meurent, car ils ne sont pas à moi ; qu'ils périssent, car ils sont à moi. Ils ne sont coupables d'aucun crime, d'aucune faute; ils sont innocents : je l'avoue..... mon frère aussi, était innocent.

Mon âme, pourquoi balancer? pourquoi ces pleurs qui coulent de mes yeux? pourquoi ce combat de l'amour et de la haine qui déchire mon cœur et le partage dans un flux et reflux de sentiments contraires? Quand des vents furieux se font une guerre cruelle, les flots émus se soulèvent les uns contre les autres, et la mer bouillonne sous leurs efforts opposés. C'est ainsi que mon cœur flotte irrésolu ; la colère chasse l'amour, et l'amour chasse la colère. Cède à la tendresse maternelle, ô mon ressentiment. Venez, chers enfants, seuls appuis d'une famille déplorable, accourez, entrelacez vos bras autour de mon sein; vivez pour votre père, pourvu que vous viviez aussi pour votre mère. Mais la fuite et l'exil m'attendent. Bientôt on va les arracher de mes bras, pleurants et gémissants. Ils sont perdus pour leur mère; que la mort les dérobe aussi aux embrassements paternels. Ma colère se rallume, et la haine reprend le dessus. La furie qui a toujours conduit mes mains les réclame pour un nouveau crime; la vengeance m'appelle, et j'obéis.

Plût au ciel que mon sein eût été aussi fécond que celui de l'orgueilleuse fille de Tantale, et que je fusse mère de quatorze enfants! Ma stérilité trahit ma vengeance. J'ai mis deux fils au monde, c'est assez pour mon père et pour mon frère. Mais où court cette troupe épouvantable de Furies? Qui cherchent-elles, et quel est le but que vont frapper leurs traits enflammés? Pour qui sont les torches qu'agitent les mains sanglantes de ces filles d'enfer? Des serpents gigantesques se dressent en sifflant sur leurs têtes. Quelle est la victime que Mégère veut frapper avec cette poutre qu'elle brandit entre ses mains? Quelle est cette ombre qui traîne avec effort ses membres séparés? C'est mon frère; il demande vengeance; il sera vengé. Tourne contre mes yeux toutes ces torches enflammées, tourmente, brûle; j'ouvre mon sein aux Furies. Dis à ces divinités vengeresses de se retirer, ô mon frère; dis-leur qu'elles peuvent retourner sans crainte au fond des enfers. Laisse-moi avec moi-même, et repose-toi sur ma main du soin de ta vengeance; cette main, tu le sais, a déjà tiré l'épée. Voici la victime qui doit apaiser tes mânes.

Mais quel bruit soudain frappe mon oreille? On arme contre moi, on en veut à ma vie. Je vais monter sur la terrasse élevée de ce palais, ma vengeance à moitié satisfaite. Toi, nourrice, viens, je t'emporterai avec moi de ces lieux. Maintenant, courage! il ne faut pas que ta puissance reste cachée dans l'ombre; il faut montrer à tout un peuple ce dont tu es capable.

Qu'est-ce que l'autorité? Université de tous les savoirs / Yves Michaud

La Fontaine, les fables sur l'autorité de la parole

Le loup et l'agneau

La raison du plus fort est toujours la meilleure :
            Nous l'allons montrer tout à l'heure (1).
            Un Agneau se désaltérait
            Dans le courant d'une onde pure.
Un Loup survient à jeun, qui cherchait aventure,
       Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi (2) de troubler mon breuvage ?
            Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
Sire, répond l'Agneau, que Votre Majesté
            Ne se mette pas en colère ;
            Mais plutôt qu'elle considère
            Que je me vas (3) désaltérant
                         Dans le courant,
            Plus de vingt pas au-dessous d'Elle ;
Et que par conséquent, en aucune façon,
            Je ne puis troubler sa boisson.
Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
Comment l'aurais-je fait si (4) je n'étais pas né ?
       Reprit l'Agneau ; je tette encor ma mère
            Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
       Je n'en ai point. C'est donc quelqu'un des tiens:
            Car vous ne m'épargnez guère,
            Vous, vos Bergers et vos Chiens.
On me l'a dit : il faut que je me venge."
           Là-dessus, au fond des forêts
            Le loup l'emporte et puis le mange,
            Sans autre forme de procès.

 

Les Animaux malades de la peste

Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom)
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n'en voyait point d'occupés
A chercher le soutien d'une mourante vie ;
Nul mets n'excitait leur envie ;
Ni Loups ni Renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie.
Les Tourterelles se fuyaient :
Plus d'amour, partant plus de joie.
Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune ;
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux,
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévouements :
Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons
J'ai dévoré force moutons.
Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense :
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le Berger.
Je me dévouerai donc, s'il le faut ; mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi :
Car on doit souhaiter selon toute justice
Que le plus coupable périsse.
- Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse ;
Eh bien, manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur
En les croquant beaucoup d'honneur.
Et quant au Berger l'on peut dire
Qu'il était digne de tous maux,
Etant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.
Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir
Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.
Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L'Ane vint à son tour et dit : J'ai souvenance
Qu'en un pré de Moines passant,
La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.
A ces mots on cria haro sur le baudet.
Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable !
Rien que la mort n'était capable
D'expier son forfait : on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

Les séductions de la parole

 

Extrait 1 : ANONYME, Le Roman de Renart, « Avertissement du conteur ».

Zone de Texte: Extrait 1 : ANONYME, Le Roman de Renart, « Avertissement du conteur ».Maintenant, il faut que je vous raconte
une histoire qui vous divertisse,
car, je le sais bien, la vérité
c'est que vous n'avez aucune envie d'entendre un sermon
ou la vie d'un saint martyr ;
ce que vous préférez,
c'est quelque chose de plaisant.
Que chacun donc veille à se taire
car j'ai l'intention de vous raconter une belle histoire,
et j'en connais plus d'une, que Dieu m'assiste !
Avec un peu d'attention,
vous pourriez en tirer une leçon
fort utile.
Certes, on a l'habitude de me prendre pour un fou,
pourtant, j'ai appris à l'école
que la vérité sort de la bouche des fous.
Inutile de s'appesantir sur le prologue.
Donc, sans plus attendre,
Je vais raconter une histoire et un seul bon tour
du maître de l'astuce :
je veux parler de Renart, vous le savez bien
à force de l'avoir entendu dire.
Personne ne peut damer le pion à Renart,
Renart dore la pilule à tout le monde,
Renart enjôle, Renart cajole,
Renart n'est pas un modèle à suivre.
Personne, fût-il son ami, 
ne le quitte indemne.

Renart est plein de sagesse et d'habileté,
et aussi de discrétion.
Mais en ce bas monde personne n'est assez sage
pour être à l'abri d'une folie.
Je vais donc vous raconter la fâcheuse mésaventure
qui survint à Renart.

 

Extrait 1 : ANONYME, Le Roman de Renart, « Avertissement du conteur ».

Zone de Texte: Extrait 1 : ANONYME, Le Roman de Renart, « Avertissement du conteur ».Maintenant, il faut que je vous raconte
une histoire qui vous divertisse,
car, je le sais bien, la vérité
c'est que vous n'avez aucune envie d'entendre un sermon
ou la vie d'un saint martyr ;
ce que vous préférez,
c'est quelque chose de plaisant.
Que chacun donc veille à se taire
car j'ai l'intention de vous raconter une belle histoire,
et j'en connais plus d'une, que Dieu m'assiste !
Avec un peu d'attention,
vous pourriez en tirer une leçon
fort utile.
Certes, on a l'habitude de me prendre pour un fou,
pourtant, j'ai appris à l'école
que la vérité sort de la bouche des fous.
Inutile de s'appesantir sur le prologue.
Donc, sans plus attendre,
Je vais raconter une histoire et un seul bon tour
du maître de l'astuce :
je veux parler de Renart, vous le savez bien
à force de l'avoir entendu dire.
Personne ne peut damer le pion à Renart,
Renart dore la pilule à tout le monde,
Renart enjôle, Renart cajole,
Renart n'est pas un modèle à suivre.
Personne, fût-il son ami, 
ne le quitte indemne.

Renart est plein de sagesse et d'habileté,
et aussi de discrétion.
Mais en ce bas monde personne n'est assez sage
pour être à l'abri d'une folie.
Je vais donc vous raconter la fâcheuse mésaventure
qui survint à Renart.

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