Invitation au voyage...
L'aventure et les aventuriers
I. Le voyage : des aventures et des aventuriers
- Film : Into the wild
- Lecture cursive : L’or, Cendrars
Introduction : Stevenson : p. 38/39
« Quelle vision de l’aventurier ces textes proposent-ils ? »
- St Exupéry ,Courrier Sud
- Rimbaud : « Ma bohème »
- Sylvain tesson « j’organise mes voyages comme des métamorphoses »
- « Koh lanta, et les aventuriers de l’ordinaire »
Texte complémentaire : un extrait de Moby Dick,
- St Exupéry ,Courrier Sud, 1929
Aujourd’hui, Jacques Bernis, tu franchiras l’Espagne avec une tranquillité de propriétaire. Des visions connues, une à une, s’établiront. Tu joueras des coudes, avec aisance, entre les orages. Barcelone, Valence, Gibraltar, apportées à toi, emportées. C’est bien. Tu dévideras ta carte roulée, le travail fini s’entasse en arrière. Mais je me souviens de tes premiers pas, de mes derniers conseils, la veille de ton premier courrier. Tu devais, à l’aube, prendre dans tes bras les méditations d’un peuple. Dans tes faibles bras. Les porter à travers mille embûches comme un trésor sous le manteau. Courrier précieux, t’avait-on dit, courrier plus précieux que la vie. Et si fragile. Et qu’une faute disperse en flammes, et mêle au vent. Je me souviens de cette veillée d’armes. […]
Chambre de pilote, auberge incertaine, il fallait souvent te rebâtir. La compagnie nous avisait la veille au soir : « Le pilote X est affecté au Sénégal... à l’Amérique... » Il fallait, la nuit même, dénouer ses liens, clouer ses caisses, déshabiller sa chambre de soi-même, de ses photos, de ses bouquins et la laisser derrière soi, moins marquée que par un fantôme. Il fallait quelquefois, la nuit même, dénouer deux bras, épuiser les forces d’une petite fille, non la raisonner, toutes se butent, mais l’user, et, vers trois heures du matin, la déposer doucement dans le sommeil, soumise, non à ce départ, mais à son chagrin, et se dire : voilà qu’elle accepte : elle pleure.
- Rimbaud : « Ma bohème », Cahier de Douai (1870)
Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;
Oh ! là ! là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !
Mon unique culotte avait un large trou.
– Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
– Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !
- Articles philosophie magazine : Sylvain tesson « j’organise mes voyages comme des métamorphoses »
Depuis plus de vingt ans, l’écrivain voyageur Sylvain Tesson explore les quatre coins du monde. Même si les instants merveilleux, confie-t-il, se payent d’un incommensurable... ennui.
Voyage-t-on pour vivre plusieurs vies ?
Oui, j’en suis convaincu ! Chaque fois que je reviens d’un voyage ou d’une expédition, j’ai l’impression d’être un autre. Si le voyage n’opère pas sur vous cette mue, alors il n’aura servi à rien ; il ne s’agit que d’une vaine consommation de territoires et de paysages. En ce qui me concerne, je pense être assez plastique ; les pays, les atmosphères déteignent sur moi. D’ailleurs, je construis les voyages ainsi, j’essaie de les organiser comme des métamorphoses. À chaque fois, je m’efforce de m’adapter à un milieu, de jouer au caméléon. J’ai traversé l’Asie centrale à cheval, donc je me suis transformé pendant un temps en cavalier des steppes. J’ai habité pendant six mois au bord du lac Baïkal dans une cabane forestière , donc j’ai vécu à la manière d’un bûcheron russe. Il y a du jeu là-dedans, de l’artifice, mais c’est aussi une nécessité. Pour tenir le coup dans des biotopes hostiles, mieux vaut emprunter les modes vestimentaires et alimentaires, les moyens de transport de leurs habitants. Peu à peu, vous vous rendez compte que ce qui n’était au départ qu’une mascarade, vous influence, produit en vous des réflexes, des tics de pensée, des comportements inédits. Tout ceci participe de ce sentiment que le voyage est une vie à part, avec une mort programmée, l’arrivée.
Quelle différence faites-vous entre les trajets et les séjours ?
Ce sont deux stratégies de voyage différentes, qui jouent sur la compression ou la dilatation du temps. J’ai fait le tour du monde à vélo avec Alexandre Poussin quand j’avais 20 ans ; j’ai traversé l’Himalaya à pied en 1997, du Bhoutan à l’Afghanistan ; j’ai effectué une enquête sur le pétrole dans la région de la mer Caspienne et de la Turquie en longeant les pipelines à pied ; et puis j’ai traversé l’Eurasie de la Yakoutie à l’Inde. Tout ça, c’était du moissonnage kilométrique. Cela correspondait à une envie de densifier l’existence, d’aller chercher l’aventure pour ainsi dire avec les dents. Et puis, a contrario, mon épisode d’immersion sibérienne, c’était une tentative pour voyager non plus dans l’espace, mais dans le temps. Je n’avais pas grand-chose à faire là-bas, dans ma cabane en plein hiver, sinon à contempler chaque jour le même spectacle, le vent dans les arbres, les montagnes se reflétant dans les eaux glacées du lac… Je ne demandais plus au défilement des kilomètres de m’apporter de la variété ; celle-ci m’était procurée par les nuances impressionnistes que le passage des heures imprimait sur la toile du paysage. Cette immobilité m’a beaucoup coûté, car je ne tiens pas en place ; mais elle m’a aussi beaucoup apporté. Néanmoins, vous savez, il y a une vérité que les voyageurs répugnent à avouer : dans tous les cas, on trouve l’ennui. Attention, pas simplement une légère contrariété due à des contretemps : je parle ici d’un ennui immense, abyssal, qui prend une dimension métaphysique. Lorsque vous êtes seul sur un cheval dans la steppe eurasiatique, que vous savez que vous allez devoir encore avancer quarante-cinq jours d’affilée sur une plaine absolument plate, sans un pli du terrain, avec toujours le même horizon devant vous, c’est vraiment l’angoisse, le vide, l’épreuve du néant. Les récits de voyage, comme genre littéraire, essaient en général de passer sous silence cette dimension de l’expérience. Elle est pourtant fondamentale : on quitte son chez-soi, ses proches, ses activités ordinaires pour aller au-devant de l’ennui. Je me reconnais bien dans ces vers mélancoliques d’Henry J.-M. Levet : « Ni les attraits des plus aimables Argentines/Ni les courses amères à travers la pampa/N’ont eu le pouvoir de guérir de son spleen/Le consul général de France à La Plata. »
[…]
À la fin d’Ulysse de Joyce, une phrase revient sans cesse : « Certains préfèrent aller jusqu’au bout du monde plutôt que de se traverser eux-mêmes. » Est-ce la rencontre avec soi-même qu’on élude en partant au bout du monde ?
Peut-être… J’ai souvent voyagé d’est en ouest, car je préfère avoir mon ombre derrière moi le soir. Quand je marche vers l’est et que je la vois à mes pieds, elle me gêne. Une telle préférence s’explique peut-être par la volonté que j’aurais de me fuir. Dans le fond, Joyce n’a pas tort, le voyage est une antipsychanalyse. Mais ce n’est pas forcément négatif. Faire son sac, s’en aller, c’est être convaincu que le monde est plus intéressant que l’introspection, que les paysages lointains valent mieux qu’un tas de misérables secrets. J’aime beaucoup cette belle réplique de l’alpiniste britannique George Mallory, alors qu’on lui demandait pourquoi il avait grimpé l’Everest : « Because it’s here. » Parce qu’il est là. Cela suffit, comme explication. Le monde est là, donc il faut aller le voir. Mais il y a une question qui m’obsède et qui, je crois, hante tous les voyageurs : pourquoi repartir ? Au fond, c’est une question un peu idiote. Pourquoi refait-on les choses, en général ? Lorsqu’on a vécu des moments extraordinaires en voyage, comme celui dont je vous ai parlé, cela devient addictif. C’est une sorte de drogue. Il m’arrive de pratiquer les sports extrêmes et j’ai rencontré parfois des parachutistes, dans les drop zones [zones de saut], qui en étaient à leur 16 000e saut. Ceux-là n’ont qu’une seule envie, recommencer. Encore et encore, c’est comme faire l’amour. À leur manière, les voyageurs sont tous, pour reprendre la belle expression de Jankélévitch, des « mendiants de la deuxième fois ».
- Article de Philosophie Mgazine : « Koh lanta, et les aventuriers de l’ordinaire »
C’est l’une des émissions phares de la télévision, devenue en près de vingt ans ans, un phénomène de société et, pour de nombreuses familles, le rituel des vendredis soirs. Koh-Lanta – l’« île au millions d’yeux », du nom de l’île thaïlandaise où a été tournée la première saison – propose à ses participants, répartis en « tribus » concurrentes, de se confronter un mois durant à des épreuves de survie. Les risques étant très limités – même si quelques accidents ont eu lieu –, cette confrontation à l’adversité n’est pas très différente de celle qui a lieu sur les autres plateaux de télé-réalité. Alors, après quoi courent donc les héros de Koh-Lanta ? Et qu’est-ce qui fascine les téléspectateurs ? Une promesse d’aventure, sans doute. Mais celle-ci tient plus à la confrontation avec le monde de l’ordinaire qu’à l’accomplissement d’exploits héroïques. C’est ce que permet de comprendre un détour par la conception de l’aventure du philosophe Vladimir Jankélévitch, selon lequel « les évasions de l’aventure nous servent à dramatiser une existence trop bien réglée ».
Une aventure sous cloche ?
[…]
Les candidats y sont qualifiés d’« aventuriers » et même, pour certains, de « héros ». Mais de quelle aventure s’agit-il ici ? Il n’est pas question de partir à la découverte de terres vierges, pas plus que de rencontrer les populations locales ni de connaître le frisson du danger. Les différentes épreuves – d’habileté, d’équilibre ou de force – sont assez prévisibles, puisque la plupart sont récurrentes et n’ont rien de bien effrayant. Qu’on en juge : l’épreuve finale, dite des « poteaux », consiste à... rester debout le plus longtemps possible ! Nous sommes loin des démonstrations de courage d’un Marco Polo, d’une Alexandra David-Néel ou, plus récemment, d’un Mike Horn ! Surtout, les faits et gestes des participants sont tellement scrutés par les différentes caméras qu’au moindre petit bobo, une équipe médicale suréquipée surgit pour prévenir tout accident, ne serait-ce qu’en raison des coûts d’assurance. L’exploration se limite pour eux à faire le tour d’une île déserte et complètement sécurisée, à la recherche de colliers de coquillages fabriqués pour les besoins de l’émission. Tout est tellement scénarisé par la production que Koh-Lanta s’apparente à une sorte de Loft Story sous les tropiques où l’île remplacerait l’appartement en guise d’espace clos : dans les deux cas, on assiste aux intrigues qui vont bon train entre des candidats en maillots de bain animés par l’espoir de remporter un chèque.
Jankélévitch ou l’aventure comme jeu avec l’ordinaire
Plutôt qu’à Rousseau (pour le « retour à la nature »), à Hobbes (pour « la guerre de tous contre tous ») ou à Machiavel (pour les stratégies), c’est à Jankélévitch que fait penser Koh-Lanta. Dans L’Aventure, l’Ennui, le Sérieux (1963), le philosophe présente l’aventure comme un « remède à l’ennui » et explique que « les évasions de l’aventure nous servent à pathétiser, à dramatiser, à passionner une existence trop bien réglée par les fatalités économiques ou sociales et par les compartimentages de la vie urbaine ». Jankélévitch explique également que l’aventure suppose un décalage entre son extérieur et son intérieur, et il est exact qu’au cours de chaque épisode de Koh-Lanta est déroulé un « portrait » de l’un ou l’autre candidat dans sa vie civile, dans son environnement professionnel et familial. Les téléspectateurs peuvent donc prendre plaisir à confronter ces deux existences parallèles, s’étonner d’un amaigrissement, scruter une différence de coiffure, observer une barbe qui a poussé, comparer les traits de caractère révélés par l’émission et ceux qui sont prêtés aux candidats dans leur routine quotidienne. Selon Jankélévitch, l’aventure consiste précisément dans cet entre-deux, cette situation de « dedans-dehors », oscillant d’un monde à l’autre dans une situation intermédiaire qui tient à la fois du jeu et du sérieux.
Homo viator , le voyage comme philosophie de vie.
Une petite histoire du voyage à travers le temps.
https://www.vialala.fr/homo-viator-le-voyage-comme-philosophie-de-vie
#voyage sur mesure
Un article du 9 novembre 2020
Homo Viator, le voyage comme philosophie de vie.
Pourquoi voyage-t-on ?
Il n’est rien de plus beau que l’instant qui précède le voyage, l’instant où l’horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses ;
Milan Kundera
Une petite histoire du voyage à travers le temps.
Les grandes découvertes.
Depuis la nuit des temps l’homme a voulu voir du pays. Tandis qu’il est apparu en Afrique, on trouve trace de son passage au Néolithique à Longuppo en Asie. Au XIIIème siècle Marco Polo, un marchand italien rédige le Livre des Merveilles qui relate son voyage en Chine. À la faveur des inventions telles que la caravelle ou l’astrolabe les découvreurs prennent la mer au XVème siècle. Puis Christophe Colomb met le pied dans le nouveau monde, Vasco de Gama ouvre la route des Indes et Magellan s’offre un tour du monde. Bientôt les Hollandais, quant à eux, fondent la Compagnie des Indes.
Le voyage comme loisir.
À partir du XVIIe siècle l’aristocratie trouve dans le voyage d’éducation l’occasion de se former son élite : le Grand Tour. Néanmoins celui qui nous fit aimer la géographie aura été Jules Verne qui explore des terres inconnues avant même l’invention du train. À l’occasion d’un colloque pour 500 militants contre l’abstinence, Thomas Cook organise en 1864 un voyage de groupe et crée par la même la première agence de voyages. Avec les congés payés les Français se lancent sur les routes en 1936 et voient pour certains d’entre eux la mer pour la première fois, le tourisme se développe !
Dans les années 60 Kerouac rédige Sur la route qui prône l’errance et lance le road trip. Lorsque Michel Le Bris crée en 1990 le festival Etonnants Voyageurs*, les lecteurs affluent pour rencontrer les écrivains « volant au gré des humeurs vagabondes et aux semelles de vent ».
Qu'est ce qui pousse les hommes à voyager ?
Or vous êtes-vous jamais demandé pourquoi nous voyageons ? Certains prétendent que le voyage correspondrait à une fuite face aux épreuves de la vie. Je ne compte pas réfuter cet argument, pour autant pourquoi se priver d’une thérapie naturelle ? En attendant cette conception tente à faire oublier les autres motivations à l’origine du voyage : l’esprit d’évasion, la curiosité intellectuelle et la recherche d’identité.
Le désir d'évasion.
Le désir d’évasion remonte aux hommes premiers qui vivaient en se déplaçant. Si on se réfère à l’ouvrage de Jacques Attali L’homme nomade, nous comprenons à quel point la sédentarisation ne constitue qu’une parenthèse dans l’histoire des hommes. Elle s’installe avec la naissance de l’agriculture au Néolithique (-10 000 ans av. JC). Le fait que certaines tribus continuent à pratiquer cette errance nous le rappelle : les Ghilji au Pakistan ou les Nukak en Colombie.
Par conséquent on ne s’avance pas en prétendant que le vagabondage est inscrit dans notre patrimoine génétique. En revanche il est certain que les contraintes sociales et professionnelles que nous subissons renforcent encore cet élan. C’est que Jean-Didier Urbain, sociologue, développe. Selon lui, en voyageant nous recouvrons notre liberté puisque nous choisissons notre itinéraire et sommes maîtres de notre temps. Et d’ajouter que le voyage gage de liberté retrouvée fait que nous renouvelons volontiers l’expérience à chaque fois qu’elle nous est possible. Il en ressort que le voyage apporte un indispensable dépaysement face à une vie écrite pour nous.
La curiosité.
De surcroit le voyage sert à satisfaire notre curiosité intellectuelle. En effet nous cherchons à découvrir des paysages neufs à la manière d’un enfant émerveillé. Ainsi sommes -nous surpris face aux eaux noires du Rio Grande en Amazonie et aux chutes du Zambèze. Par ailleurs nous voulons nous frotter à des espèces animales inconnues. Dans son ouvrage la panthère de Sibérie, Sylvain Tesson, nous fait vivre ses nuits à l’affut en compagnie du photographe animalier Vincent Munier. C’est à travers ses yeux que nous observons les yacks et la panthère qui s’aventure près d’un fleuve.
Plus que tout, le voyageur cherche à rencontrer les autochtones. Il s’agit là non pas d’apprendre quelques rudiments de langue mais plutôt d’appréhender leur pensée. Un récit de voyage m’a particulièrement marquée : Chemins de Piste de Chatwin. L’écrivain-voyageur britannique qui cheminait avec son havresac, ses jumelles - offertes par Herzog ! et son Moleskin y rapporte son expérience. Il nous emmène aux côtés des aborigènes d’Australie qui marchent dans les pas de leurs ancêtres en suivant les signes invisibles qu’ils ont laissés de leur passage …
Le voyage comme forme de développement personnel.
Citons la phrase de Nicolas Bouvier dans Usage du Monde : « Un voyage se passe de motifs, ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait et vous défait. » Cette citation illustre le travail sur soi que procure le voyage. A l’occasion d’un trek pour Kala Pattar, on peut apprendre à combattre le mal d’altitude par des techniques de respiration. Étonnamment on se dépasse, on ne s’en serait pas cru capable. Autre aspect du voyage est qu’on gagne en sagesse, une qualité qui nous sera fort utile dans la conduite de notre vie. Cela sous-entend également qu’à l’issue du voyage, nous serons heureux de retrouver notre pays et les nôtres. Reportons-nous au poème de Joachim de Bellay à propos d’Ulysse qui résume bien cette vertu :
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Et comme celui-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et de raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge.
Conclusion.
À la lumière de ces arguments, nous pouvons croire que le voyage nous permet d’être vivant, de se sentir exister et d’être en harmonie avec soi. Il semble en effet que le côté ostentatoire du voyage ait disparu au profit d’une recherche de sens. Par ailleurs que penser du voyageur immobile ? Hergé, de son côté, nous a fait vivre des aventures extraordinaires dans des lieux qu’il n’a jamais visités, pourtant ne nous sommes-nous pas pris au jeu ? À croire que le voyage n’est pas conditionné au déplacement physique et cette tendance trouve de plus en plus un écho grâce aux visites virtuelles parfois bluffantes qui vont jusqu’à reconstituer Palmyre au temps de sa splendeur.
Étonnants voyageurs ! Quelles nobles histoires
Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers !
Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires,
Les bijoux merveilleux, faits d’astres et d’éthers.
Nous voulons voyager sans vapeurs et sans voile !
Faites, pour égayer l’ennui de nos prisons,
Passer sur nos esprits tendus comme une toile,
Vos souvenirs avec leurs cadres d’horizon.
Dîtes, qu’avez-vous vu ?
Charles Beaudelaire, le Voyage III
BTS BLANC
SYNTHESE /40
Vous réaliserez une synthèse concise ordonnée et objective des documents suivants :
Document 1 : Sylvain Tesson Petit traité sur l’immensité du monde,2005
Document 2 : Louis Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit , 2011
Document 3. Aldous Huxley, Le Meilleur des mondes,1932
Document 4. Sean Penn : Into the Wild, photogramme du film, 2007
ECRITURE PERSONNELLE / 20
Qu’est-ce qui pousse les humains à voyager ?
Vous répondrez à cette question d’une façon argumentée en vous appuyant sur les documents du corpus, sur vos lectures de l’année et sur vos connaissances personnelles
Document 1 : Sylvain Tesson Petit traité sur l’immensité du monde,2005
Dans l'avant-propos de son Petit traité sur l'immensité du monde, Sylvain Tesson nous livre ses réflexions sur la manière dont on se déplace aujourd'hui à travers le monde .
Les internautes naviguent dans les corridors virtuels du cyberworld, des hordes en rollers transhument dans les couloirs de bus. Des millions de têtes sont traversées par les particules ondulatoires des SMS. Des tribus de vacanciers pareils aux gnous 1 d'Afrique migrent sur les autoroutes vers le soleil, le nouveau dieu ! C'est en vogue : on court, on vaque. On se tatoue, on se mondialise. On se troue de piercings pour avoir l'air tribal. Un touriste s'envoie dans l'espace pour vingt millions de dollars. « Bougez-vous !» hurle la pub. « À fond la forme !» On se connecte, on est joignable en permanence. On s'appelle pour faire un jogging. L'État étend le réseau de routes : la pieuvre de goudron gagne. Le ciel devient petit : il y a des collisions d'avions. Pendant que les TGV rusent, les paysans disparaissent. « Tout fout le camp», disent les vieux qui ne comprennent rien. En fait, rien ne fout le camp, ce sont les gens qui ne tiennent plus en place. Mais ce nomadisme-là n'est qu'une danse de Saint-Guy 2 .
C'est la revanche d'Abel. Selon la Bible, Caïn, le paysan, a tué son frère Abel, le berger, d'un coup de pierre à la tête. Ce geste fut à l'origine de l'hostilité entre les cultivateurs et les nomades. Depuis, l'ordre du monde reposait sur la puissance des premiers : la charrue était supérieure au bâton du pâtre 3. Mais les temps du néo-nomadisme sont arrivés !
Le nomadisme historique, lui, est une malédiction de peuples éleveurs poussant leurs bêtes hors de la nuit des temps et divaguant dans les territoires désolés du monde, à la recherche de pâturages pour leur camp. Ces vrais nomades sont des errants qui rêveraient de s'installer. Il ne faut pas confondre leurs lentes transhumances 4, inquiètes et tragiques, avec les tarentelles 5 que dansent les néo-agités du XXIe siècle, au rythme des tendances urbaines.
Il est cependant une autre catégorie de nomades. Pour eux, ni tarentelle ni transhumance. Ils ne conduisent pas de troupeaux et n'appartiennent à aucun groupe. Ils se contentent de voyager silencieusement, pour eux-mêmes, parfois en eux-mêmes. On les croise sur les chemins de monde. Ils vont seuls, avec lenteur, sans autre but que celui d'avancer.
Comme le requin que son anatomie condamne à nager perpétuellement, ils vivent en mouvement. Ils ressemblent un peu aux navettes de bois qui courent sans aucun bruit sur la trame des hautes lisses 6 et dont les allées et venues finissent par créer une tapisserie. Eux ils se tissent un destin, pas à pas. Le défilement des kilomètres suffit à donner un sens à leur voyage. Ils n’ont pas de signe de reconnaissance, pas de rites. Impossible de les assimiler à une confrérie : ils n’appartiennent qu’au chemin qu’ils foulent.
Ils traversent les pays autant que les époques et, selon les âges, ils ont reçu des noms différents : moines-mendiants, troubadours, hobos ou beatniks, ermites des taïgas ou coureurs des bois, vagabonds, wanderer ou waldganger, errants ou loups des steppes… Leur unique signe distinctif : ne pas supporter que le soleil, à son lever, parte sans eux.
- Le gnou est un animal africain de la famille des bovidés qui se déplace en troupeau sur de longues distances.
- Danse de Saint-Guy : agitation déraisonnable. Fait référence à un phénomène de folie collective observé en Allemagne à la fin du Moyen Âge. Des individus se mettaient à danser de façon étrange et sans raison apparente pendant des heures jusqu'à s'écrouler de fatigue.
- Pâtre : berger.
- Transhumances : déplacement de troupeaux et de leur berger entre les pâturages d'hiver et les pâturages d'été.
- Tarentelles : agitation déraisonnable. Sylvain Tesson fait référence à une danse populaire de l'Italie méridionale très rythmée, qui trouve son origine dans des rituels collectifs destinés à conjurer une morsure d'araignée imaginaire, au cours desquels la patiente se mettait à s'agiter de façon incontrôlée au rythme du tambour.
- Hautes lisses : métier à tisser verticaux,
Document 2 : Louis Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, 2011
Céline est un écrivain et médecin français, ce roman est son premier, il est célèbre pour son style teinté d’argot qui imite le langage parlé. Ce roman relate l’expérience personnelle de l’auteur de la première guerre mondiale retranscrite à travers le personnage de Ferdinand Bardamu, son double littéraire. Dans l’extrait qui suit, Bardamu, jeune étudiant en médecine, engagé volontaire pour braver son ami Arthur, s’en va à la guerre avec enthousiasme, il aime être applaudi et acclamé par la foule…
Justement la guerre approchait de nous deux sans qu'on s'en soye rendu compte et je n'avais plus la tête très solide. Cette brève mais vivace discussion m'avait fatigué. Et puis, j'étais ému aussi parce que le garçon m'avait un peu traité de sordide1 à cause du pourboire. Enfin, nous nous réconciliâmes avec Arthur pour finir, tout à fait. On était du même avis sur presque tout.
« C'est vrai, t'as raison en somme, que j'ai convenu, conciliant, mais enfin on est tous assis sur une grande galère, on rame tous à tour de bras, tu peux pas venir me dire le contraire !... Assis sur des clous même à tirer tout nous autres ! Et qu'est-ce qu'on en a ? Rien ! Des coups de trique seulement, des misères, des bobards et puis des vacheries encore. On travaille ! qu'ils disent. C'est ça encore qu'est plus infect que tout le reste, leur travail. On est en bas dans les cales à souffler de la gueule, puants, suintants des rouspignolles, et puis voilà ! En haut sur le pont, au frais, il y a les maîtres et qui s'en font pas, avec des belles femmes roses et gonflées de parfums sur les genoux. On nous fait monter sur le pont. Alors, ils mettent leurs chapeaux haut de forme et puis ils nous en mettent un bon coup de la gueule comme ça : “Bandes de charognes, c'est la guerre ! qu'ils font. On va les aborder, les saligauds qui sont sur la patrie n° 2 et on va leur faire sauter la caisse ! Allez ! Allez ! Y a de tout ce qu'il faut à bord ! Tous en chœur ! Gueulez voir d'abord un bon coup et que ça tremble : Vive la Patrie n° I ! Qu'on vous entende de loin ! Celui qui gueulera le plus fort, il aura la médaille et la dragée du bon Jésus ! Nom de Dieu ! Et puis ceux qui ne voudront pas crever sur mer, ils pourront toujours aller crever sur terre où c'est fait bien plus vite encore qu'ici !”
– C'est tout à fait comme ça ! » que m'approuva Arthur, décidément devenu facile à convaincre.
Mais voilà-t-y pas que juste devant le café où nous étions attablés un régiment se met à passer, et avec le colonel par-devant sur son cheval, et même qu'il avait l'air bien gentil et richement gaillard, le colonel ! Moi, je ne fis qu'un bond d'enthousiasme.
« J' vais voir si c'est ainsi ! que je crie à Arthur, et me voici parti à m'engager, et au pas de course encore.
– T'es rien c... Ferdinand ! » qu'il me crie, lui Arthur en retour, vexé sans aucun doute par l'effet de mon héroïsme sur tout le monde qui nous regardait.
Ça m'a un peu froissé qu'il prenne la chose ainsi, mais ça m'a pas arrêté. J'étais au pas. « J'y suis, j'y reste ! » que je me dis.
« On verra bien, eh navet ! » que j'ai même encore eu le temps de lui crier avant qu'on tourne la rue avec le régiment derrière le colonel et sa musique. Ça s'est fait exactement ainsi.
Alors on a marché longtemps. Y en avait plus qu'il y en avait encore des rues, et puis dedans des civils et leurs femmes qui nous poussaient des encouragements, et qui lançaient des fleurs, des terrasses, devant les gares, des pleines églises. Il y en avait des patriotes ! Et puis il s'est mis à y en avoir moins des patriotes... La pluie est tombée, et puis encore de moins en moins et puis plus du tout d'encouragements, plus un seul, sur la route.
Nous n'étions donc plus rien qu'entre nous ? Les uns derrière les autres ? La musique s'est arrêtée. « En résumé, que je me suis dit alors, quand j'ai vu comment ça tournait, c'est plus drôle ! C'est tout à recommencer ! » J'allais m'en aller. Mais trop tard ! Ils avaient refermé la porte en douce derrière nous les civils. On était faits, comme des rats.
- Sordide : radin
Document 3. Aldous Huxley, Le Meilleur des mondes,1932
Aldous Huxley, est un écrivain un philosophe britannique. Son livre le plus connu Le meilleur des mondes est un roman d'anticipation dystopique, c'est à dire une intrigue qui se déroule dans un avenir très sombre ou un pouvoir tyrannique contrôle la société. Dans l'extrait qui suit, Bernard Marx, qui est amoureux de Lina Crowne, obtient l'autorisation de visiter une réserve (Malpais au Nouveau-Mexique) où sont regroupés un nombre limité de « sauvages » : des êtres humains, qui se reproduisent naturellement et vivent dans un univers non stérile, ce qui horrifie Lina et fascine Bernard.
Quand ils furent à mi-chemin du sommet, un aigle passa si près d’eux dans son vol que le vent de ses ailes leur fouetta d’un souffle frais le visage. Dans une crevasse du rocher gisait un tas d’ossements. Tout était bizarre et donnait une sensation d’oppression […]
Un bruit de pas amortis les fit se retourner. Nus depuis la gorge jusqu’au nombril, le corps brun foncé badigeonné de raies blanches (« comme des courts de tennis en asphalte », devait expliquer plus tard Lenina), le visage rendu inhumain par des bariolages d’écarlate, de noir et d’ocre, deux Indiens arrivaient en courant le long du sentier. Leurs cheveux noirs étaient tressés avec de la fourrure de renard et de la flanelle rouge. Un manteau en plumes de dindon leur flottait autour des épaules, d’énormes diadèmes de plumes leur lançaient autour de la tête des éclats aux tons voyants. À chaque pas qu’ils faisaient, s’élevaient le tintement et le cliquetis de leurs bracelets d’argent, de leurs lourds colliers d’os et de perles de turquoise. Ils s’approchaient sans mot dire, courant sans bruit dans leurs mocassins en peau de daim. L’un d’eux tenait un plumeau ; l’autre portait, dans chacune de ses mains, ce qui paraissait être de loin trois ou quatre bouts de corde épaisse. L’une des cordes se tordait de façon inquiétante, et Lenina vit soudain que c’étaient des serpents. Les hommes s’approchèrent, de plus en plus près ; leurs yeux sombres la dévisagèrent, mais sans donner aucun signe de reconnaissance, ni le moindre indice qu’ils l’eussent vue ou eussent conscience de son existence. Le serpent qui s’était tordu pendait, à présent, mollement, avec les autres. Les hommes passèrent leur chemin.
— Ça ne me plaît pas, dit Lenina. Ça ne me plaît pas.
Ce qui l’attendait à l’entrée du pueblo1 lui plut encore moins, lorsque leur guide les eut laissés pendant qu’il entrait pour recevoir des instructions. La saleté, tout d’abord, les piles d’immondices, la poussière, les chiens, les mouches. Le visage de Lenina se plissa en une grimace de dégoût. Elle porta son mouchoir à son nez.
— Mais comment peuvent-ils vivre comme cela ? laissa-telle éclater d’une voix pleine d’incrédulité indignée. (Ce n’était pas possible.)
Bernard haussa philosophiquement les épaules.
— Quoi qu’il en soit, dit-il, voilà cinq ou six mille ans qu’ils le font. De sorte que je suppose qu’ils doivent y être habitués, à présent.
- Pueblo : village, en espagnol
Document 4. Sean Penn : Into the Wild, photogramme du film, 2007
Into the wild raconte l’histoire vraie d’un étudiant américain qui renonce à un avenir confortable pour parcourir l’Amérique en auto-stop
Jean-Jacques Goldman, Sirima - Là-bas (Clip officiel)
Paroles de la chanson Là-Bas par Jean Jacques Goldman
Là-bas
Tout est neuf et tout est sauvage
Libre continent sans grillage
Ici, nos rêves sont étroits
C'est pour ça que j'irais là-bas
Là-bas
Faut du coeur et faut du courage
Mais tout est possible à mon âge
Si tu as la force et la foi
L'or est à portée de tes doigts
C'est pour ça que j'irais là-bas
N'y va pas
Y'a des tempêtes et des naufrages
Le feu, les diables et les mirages
Je te sais si fragile parfois
Reste au creux de moi
On a tant d'amour à faire
Tant de bonheur à venir
Je te veux mari et père
Et toi, tu rêves de partir
Ici, tout est joué d'avance
Et l'on n'y peut rien changer
Tout dépend de ta naissance
Et moi je ne suis pas bien né
Là-bas
Loin de nos vies, de nos villages
J'oublierai ta voix, ton visage
J'ai beau te serrer dans mes bras
Tu m'échappes déjà
Là-bas
J'aurai ma chance, j'aurai mes droits
N'y va pas
Et la fierté qu'ici je n'ai pas
Là-bas
Tout ce que tu mérites est à toi
N'y va pas
Ici, les autres imposent leur loi
Là-bas
Je te perdrai peut-être là-bas
N'y va pas
Je me perds si je reste là
Là-bas
La vie ne m'as pas laissé le choix
N'y va pas
Toi et moi, ce sera là-bas ou pas
Là-bas
Tout est neuf et tout est sauvage
N'y va pas
Libre continent sans grillage
Là-bas
Beau comme on n'imagine pas
N'y va pas
Ici, même nos rêves sont étroits
Là-bas
C'est pour ça que j'irais là-bas
N'y va pas
On ne pas laissé le choix
Là-bas
Je me perds si je reste là
N'y va pas
C'est pour ça que j'irais là-bas
N'y va pas
De la nécessité du voyage
Corpus 3 : De la nécessité du voyage…
- Document 1 : Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, livre x, 1830
- Document 2 . Ian Hacking,Les fous voyageurs, 2002
- Document 3 ; Maupassant Les sœurs Rondoli (1884)
- Document 4 : Le collectif Brandalism « Ruynair »
Document 1 : Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, livre x, 1830
La folie du moment est d’arriver à l’unité des peuples et de ne faire qu’un seul homme de l’espèce entière, soit ; mais en acquérant des facultés générales, toute une série de sentiments privés ne périra-t-elle pas ? Adieu les douceurs du foyer ; adieu les charmes de la famille ; parmi tous ces êtres blancs, jaunes, noirs, réputés vos compatriotes, vous ne pourriez vous jeter au cou d’un frère. N’y avait-il rien dans la vie d’autrefois, rien dans cet espace borné que vous aperceviez de votre fenêtre encadrée de lierre ? Au delà de votre horizon vous soupçonniez des pays inconnus dont vous parlait à peine l’oiseau du passage, seul voyageur que vous aviez vu à l’automne. C’était bonheur de songer que les collines qui vous environnaient ne disparaîtraient pas à vos yeux ; qu’elles renfermeraient vos amitiés et vos amours ; que le gémissement de la nuit autour de votre asile serait le seul bruit auquel vous vous endormiriez ; que jamais la solitude de votre âme ne serait troublée, que vous y rencontreriez toujours les pensées qui vous y attendent pour reprendre avec vous leur entretien familier. Vous saviez où vous étiez né, vous saviez où était votre tombe ; en pénétrant dans la forêt vous pouviez dire :
Beaux arbres qui m’avez vu naître,
Bientôt vous me verrez mourir.
L’homme n’a pas besoin de voyager pour s’agrandir ; il porte avec lui l’immensité. Tel accent échappé de votre sein ne se mesure pas et trouve un écho dans des milliers d’âmes : qui n’a point en soi cette mélodie, la demandera en vain à l’univers. Asseyez-vous sur le tronc de l’arbre abattu au fond des bois : si dans l’oubli profond de vous-même, dans votre immobilité, dans votre silence vous ne trouvez pas l’infini, il est inutile de vous égarer aux rives du Gange.
Quelle serait une société universelle qui n’aurait point de pays particulier, qui ne serait ni française, ni anglaise, ni allemande, ni espagnole, ni portugaise, ni italienne, ni russe, ni tartare, ni turque, ni persane, ni indienne, ni chinoise, ni américaine, ou plutôt qui serait à la fois toutes ces sociétés ? Qu’en résulterait-il pour ses mœurs, ses sciences, ses arts, sa poésie ? Comment s’exprimeraient des passions ressenties à la fois à la manière des différents peuples dans les différents climats ? Comment entrerait dans le langage cette confusion de besoins et d’images produits des divers soleils qui auraient éclairé une jeunesse, une virilité et une vieillesse communes ? Et quel serait ce langage ? De la fusion des sociétés résultera-t-il un idiome universel, ou y aura-t-il un dialecte de transaction servant à l’usage journalier, tandis que chaque nation parlerait sa propre langue, ou bien les langues diverses seraient-elles entendues de tous ? Sous quelle règle semblable, sous quelle loi unique existerait cette société ? Comment trouver place sur une terre agrandie par la puissance d’ubiquité, et rétrécie par les petites proportions d’un globe souillé partout ? Il ne resterait qu’à demander à la science le moyen de changer de planète.
Document 2 . Ian Hacking,Les fous voyageurs, 2002
A la fin du XIXe siècle, les autorités françaises décident d'interner en psychiatrie les vagabonds, une mesure suivie par de nombreux pays d'Europe. A travers le cas d'Albert, employé de la compagnie du gaz, mais aussi vagabond quand il erre en Europe, et même en Algérie, en Russie ou en Turquie, I. Hacking étudie le processus de ces êtres atteints d'une maladie mentale transitoire.
Tout débute « un matin du mois de juillet de l'année dernière quand est-on entré dans le service de clinique de notre maître Monsieur le professeur pitre, nous aperçûmes un jeune homme de 26 ans environ, pleurant et se désolant sur son lit d'hôpital. hé il est arrivé d'un long voyage fait à pied, il était fatigué, mais la fatigue n'était pas la cause de ses larmes. il ne pouvait s'empêcher de partir quand le besoin l'en prenait ; alors saisie, captivé par un désir impérieux il quittait famille, travail, habitude et aller tout à coup devant lui, marche en vite, faisant 70 km à pied dans la journée, jusqu'à ce qu'enfin il fut arrêté comme un vagabond et mis en prison ».
Ainsi commence notre histoire dans un service du vieil hôpital Saint-André de Bordeaux. ce jeune homme se prénomme Albert ; c'est un employé occasionnel de la compagnie du gaz, et le premier fugueur. il va devenir célèbre pour ses extraordinaires expéditions en Algérie à Moscou et à Constantinople il part voyager de façon obsessionnelle, comme ensorcelé, souvent sans papiers d'identité et parfois sans identité du tout , ne sachant p:as qui il est, ni pourquoi il voyage, sachant seulement qu'elle serait sa prochaine étape .[…]
Les rapports médicaux sur Albert marquent le début d'une petite épidémie de voyageurs aliénés compulsifs dont l'épicentre est d'abord Bordeaux, mais qui ne tarde pas à s'étendre à Paris , à la France entière , à l'Italie et , plus tard, à l'Allemagne et à la Russie. La fugue devient un trouble médical en soi et reçoit ses premiers labels : le Wandertrieb est suivi d'autres termes à résonance grecque ou latine, telle que l'automatisme ambulatoire , le déterminismo ambulatorio la dromomanie et la poriomanie. Les fugues, c'est-à-dire des voyages bizarres et soudains accomplis souvent dans des états de conscience obscurcie sont connus depuis toujours mais ce n'est qu'en 1887, avec la publication d'une thèse de doctorat que le voyage pathologique devient un type spécifique de folie susceptible de diagnostic.
- Wandertrieb et tous les termes qui suivent sont des termes psychiatriques issus de l'allemand , du français et de l'italien utilisés à la fin du dix-neuvième siècle pour désigner une tendance pathologique à la fugue, entendue ici comme une fuite compulsive, sans raison ni but
Document 3 ; Maupassant , Les sœurs Rondoli (1884)
Changer de place me paraît une action inutile et fatigante. Les nuits en chemin de fer, le sommeil secoué des wagons avec des douleurs dans la tête et des courbatures dans les membres... sont à mon avis de détestables commencements pour une partie de plaisir. [...] Je tiens à mon lit plus qu'à tout. Il est le sanctuaire de la vie. [...] Et les soirs navrants dans la cité ignorée ! Connaissez-vous rien de plus lamentable que la nuit qui tombe sur une cité étrangère ? On va devant soi au milieu d'un mouvement, d'une agitation qui semblent surprenants comme ceux des songes. [...] Et on s'aperçoit soudain qu'on est vraiment et toujours et partout seul au monde, mais que dans les lieux connus, les coudoiements familiers vous donnent seulement l'illusion de la fraternité humaine. [...] C'est en allant loin qu'on comprend bien comme tout est proche et court et vide ; c'est en cherchant l'inconnu qu'on s'aperçoit bien comme tout est médiocre et vite fini ; c'est en parcourant la terre qu'on voit bien comme elle est petite et sans cesse à peu près pareille.
- Document 4 : Le collectif Brandalism « Ruynair »
Dans une quinzaine de ville européennes, des activistes du collectif "Brandalism" et du réseau "Subvertisers International" ont recouvert (illégalement) plus de 500 encarts publicitaires occupés par des compagnies aériennes avec des œuvres satiriques. Parmi les trouvailles des militants, Ryanair devient "Ruinair : https://fr.euronews.com/green/2022/09/28/brandalisme-ils-detournent-les-pub-des-compagnies-aeriennes-pour-alerter-sur-le-climat
« Tarifs bas pour l'île en plastique / prix mondiaux de saccage à partir de 66.8 »
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Document complémentaire :
Forrest Gump
Le tourisme
Proposition de documents theme invitation au voyage 2023 (2.77 Mo)
De nombreuses ressources dans ce document et en particulier une synthèse sur le thème du tourisme des pages 25 à 28.
Je vous recommande aussi d'écouter cette émission :
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