A toute vitesse
Programme officiel
Thème n°2 - À toute vitesse!
Problématique
La vitesse permet de multiplier les possibles, de vivre avec intensité de nombreuses expériences. La vitesse est grisante, elle procure une ivresse qui nous ravit. Qu'il s'agisse du coureur, du cavalier ou du pilote, la quête du record nécessite exploits physiques et techniques. Le dépassement des limites qu'elle implique a quelque chose de fascinant.
La modernité et les progrès techniques modifient notre rapport au temps et à l'espace. La rapidité devient une compétence essentielle : il faut être réactif, prendre des décisions dans l'urgence, parfois au détriment de la réflexion et de la suspension du jugement. Les phénomènes d'accélération s'amplifient dans tous les domaines : moyens de transports toujours plus rapides, transmission des données en temps réel, gains de productivité, etc. Avec l'accomplissement quasi simultané de multiples tâches, notre perception de la réalité change et notre rythme de vie s'accélère. Il n'y a plus une minute à perdre.
Aller plus vite devrait permettre de dégager du temps. Nous avons pourtant souvent l'impression d'en manquer et d'être soumis à une permanente course contre la montre qui suscite pression et angoisse. Nous avons tendance à multiplier les activités ponctuelles qui n'apportent que des satisfactions éphémères. Comment ne pas céder à l'illusion du gain de temps ? La vitesse qui nous emporte incite à vivre dans un présent sans cesse renouvelé, dans une frustration perpétuelle. Comment, dès lors, garder le contrôle de nos vies sans nous laisser happer par la vitesse ?
La vitesse et l'intensité ont toujours été associées à des vies fulgurantes et exceptionnelles. Pratique de sports extrêmes, conduites à risque : certains choisissent de vivre vite et pleinement, quitte à mettre leur existence en danger. La lenteur semble être dévalorisée. Cependant de multiples activités humaines - création, recherche, artisanat, etc. - nécessitent patience et longueur de temps. Nombreux sont ceux qui refusent l'accélération constante de nos vies et prônent le retour à des rythmes plus lents, mieux ancrés dans les cycles de la nature et le respect des temps biologiques. Ne faut-il pas accepter de perdre du temps pour s'inscrire dans une durée épanouissante ? Comment trouver le bon tempo, le rythme qui convient ? Comment donc prendre le temps de vivre sans pour autant se priver de tous les possibles qu'offre la vitesse ?
Mots clés
accélération, aérodynamisme, allegro, atermoiement, bolide, circuit, contemplation, diffusion de l'information, élan, embouteillage, empressement, ennui, flow (rap), fulgurance, griserie, hâte, immédiateté, imminence, immobilité, immobilisme, indolence, inertie, information en temps réel, instantanéité, ivresse, lenteur, marche, méditation, optimisation, paralysie, paresse, patience, pesanteur, procrastination, promptitude, ralentissement, record, retard, rythme, slow, spontanéité, sprint, statisme, tapis volant, téléportation, tempo, temps médiatique, tergiversation, TGV, ubiquité, urgence, vélocité, virtuosité.
Expressions : vivre à cent à l'heure, vitesse de croisière, vitesse de la lumière, à la vitesse de l'éclair, tout schuss, vitesse grand V, excès de vitesse, course contre la montre, à toute allure, au pas de course, fast food, slow food, prendre de court, mur du son, en perte de vitesse, flux tendu, blitzkrieg, Formule 1, 24 heures du Mans, c'est un vrai marathon, fondre sur sa proie, perdre son temps, prendre son temps, tirer plus vite que son ombre, limitation de vitesse, mesure dilatoire, un train de sénateur, se hâter avec lenteur, festina lente, en mode accéléré, au ralenti, confondre vitesse et précipitation, illico presto, Chi va piano, va sano e va lontano, « Citius, Altius, Fortius », faire long feu, prendre de vitesse, à deux vitesses.
Indications bibliographiques
Ces indications ne sont en aucun cas un programme de lectures. Elles constituent des pistes et des suggestions pour permettre à chaque enseignant de s'orienter dans la réflexion sur le thème et d'élaborer son projet pédagogique.
Littérature
Alessandro Baricco, Cette histoire-là
Samuel Beckett, Oh les beaux jours
Philippe Besson, Vivre vite
Blaise Cendrars, La prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France
Jean Echenoz, Courir
Georges Feydeau, La puce à l'oreille
Gustave Flaubert, Madame Bovary
Victor Hugo, Voyage en Belgique
Jean Giono, L'homme qui plantait des arbres
Ivan Gontcharov, Oblomov
Julien Gracq, « La Presqu'île »
Cédric Gras, L'hiver aux trousses
Jack Kerouac, Sur la route
Milan Kundera, La lenteur
Jean de La Fontaine, « Le lièvre et la tortue »
Valéry Larbaud, Poésies de A. O. Barnabooth, « ode »
Albert Londres, Les forçats de la route
Yukio Mishima, Le soleil et l'acier
Paul Morand, L'homme pressé
Gérard de Nerval, « Le réveil en voiture »
Ovide, Métamorphoses (Pégase, Phaéton, Atalante)
Georges Perec, Un homme qui dort
Charles Perrault, « Le petit Poucet »
Françoise Sagan, Avec mon meilleur souvenir, « La vitesse »
Upton Sinclair, Pétrole !
Stendhal, « Les privilèges » : article 23
Sylvain Tesson, Sur les chemins noirs
Jules Verne, Le tour du monde en 80 jours
Alfred de Vigny, « La maison du berger »
Émile Zola, La Bête humaine
Tom Wolfe, L'étoffe des héros
Essais
Nicole Aubert, Le culte de l'urgence : la société malade du temps
Roland Barthes, Mythologies, « La nouvelle Citroën »
Marc Desportes, Paysages en mouvement
Études photographiques, « Vues du train », n° 1, novembre 1996, (https://journals.openedition.org/etudesphotographiques/101)
Jean-Philippe Domecq, Ce que nous dit la vitesse
Tristan Garcia, La vie intense
David Le Breton, Marcher - Éloge des chemins et de la lenteur
Jérôme Lèbre, Éloge de l'immobilité
Filippo Marinetti, Manifeste du futurisme
Hartmut Rosa, Accélération : une critique sociale du temps
Hartmut Rosa, Aliénation et accélération
Pierre Sansot, Du bon usage de la lenteur
Paul Virilio, Vitesse et politique
Paul Virilio, L'inertie polaire
Films
Jan de Bont, Speed
Rob Cohen, Fast and furious
Christian de Challonge, Les quarantièmes rugissants
Roger Donaldson, Burt Munro
Jean Epstein, La glace à trois faces
Jean-Luc Godard, À bout de souffle
Michael Hewitt, Dermot Lavery, Road
Scott Hicks, Shine
Arthur Hiller, Transamerica express
Alfred Hitchcock, La mort aux trousses
Ron Howard, Rush
Lee H. Katzin, Le Mans
Stanley Kubrick, 2001, l'odyssée de l'espace : « au-delà de l'infini »
John Lasseter, Cars
David Lynch, Une histoire vraie
Jean Mitry, Pacific 231
Christophe Offenstein, En solitaire
Nicholas Ray, La fureur de vivre
Carlos Saura, Vivre vite
Gilles Vernet, Tout s'accélère
Dziga Vertov, L'homme à la caméra
Arts plastiques
Marcel Duchamp, Nu descendant un escalier n°2
Théodore Géricault, Le Derby d'Epsom
Étienne-Jules Marey
Eadweard Muybridge
Luigi Russolo, Automobile in corsa
Jean Tinguely en collaboration avec Yves Klein, Vitesse pure et stabilité monochrome
William Turner, Pluie, vapeur, vitesse
Différents courants esthétiques : impressionnisme, futurisme, etc.
Musique
Eminem, Rap God
Arthur Honegger, Pacific 231
Niccolo Paganini, Caprice N°24
Sergueï Rachmaninov, Concerto pour piano n°3
Steve Reich, Different trains
Nikolaï Rimski-Korsakov, Le Vol du Bourdon
Beauté, plaisir et vitesse
-
- Pluie, vapeur et vitesse, William Turner, 1844
- Avec mon meilleur souvenir de Françoise Sagan, 1984
- « Voyage en Belgique », Victor Hugo, 1837
- Le soleil et l’acier, Yukio Mishima, 1973
1 . Pluie, vapeur et vitesse, William Turner, 1844
2. Avec mon meilleur souvenir de Françoise Sagan
Elle aplatit les platanes au long des routes, elle allonge et distord les lettres lumineuses des postes à essence, la nuit, elle bâillonne les cris des pneus devenus muets d’attention tout à coup, elle décoiffe aussi les chagrins : on a beau être fou d’amour, en vain, on l’est moins à deux cents à l’heure. Le sang ne se coagule plus au niveau du cœur, le sang gicle jusqu’à l’extrémité de vos mains, de vos pieds, de vos paupières alors devenues les sentinelles fatales et inexorables de votre propre vie. C’est fou comme le corps, les nerfs, les sens vous tirent vers l’existence. Qui n’a pas cru sa vie inutile sans celle de « l’autre » et qui, en même temps, n’a pas amarré son pied à un accélérateur à la fois trop sensible et trop poussif, qui n’a pas senti son corps tout entier se mettre en garde, la main droite allant flatter le changement de vitesse, la main gauche refermée sur le volant et les jambes allongées, faussement décontractées mais prêtes à la brutalité, vers le débrayage et les freins, qui n’a pas ressenti, tout en se livrant à ces tentatives toutes de survie, le silence prestigieux et fascinant d’une mort prochaine, ce mélange de refus et de provocation, n’a jamais aimé la vitesse, n’a jamais aimé la vie – ou alors, peut-être, n’a jamais aimé personne.
« Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les tempo de la vitesse ne sont pas ceux de la musique. Dans une symphonie, ce n’est pas l’allégro, le vivace ou le furioso qui correspond au deux cents à l’heure, mais l’andante, mouvement lent, majestueux, sorte de plage où l’on parvient au-dessus d’une certaine vitesse, et où la voiture ne se débat plus, n’accélère plus et où, tout au contraire, elle se laisse aller, en même temps que le corps, à une sorte de vertige éveillé, attentif, et que l’on a coutume de nommer « grisant ». Cela se passe la nuit sur une route perdue, et parfois le jour dans des régions désertes. Cela se passe à des moments où les expressions « interdiction », « port obligatoire », « assurances sociales », « hôpital », « mort », ne veulent plus rien dire, annulées par un mot simple, utilisé par les hommes à toutes les époques, à propos d’un bolide argenté ou d’un cheval alezan : le mot « vitesse ». Cette vitesse où quelque chose en soi dépasse quelque chose d’extérieur à soi, cet instant où les violences incontrôlées s’échappent d’un engin ou d’un animal redevenu sauvage et que l’intelligence et la sensibilité, l’adresse – la sensualité aussi – contrôlent à peine, insuffisamment en tout cas pour ne pas en faire un plaisir, insuffisamment pour ne pas lui laisser la possibilité d’être un plaisir mortel. Odieuse époque que la nôtre, celle où le risque, l’imprévu, l’irraisonnable sont perpétuellement rejetés, confrontés à des chiffres, des déficits ou des calculs ; époque misérable où l’on interdit aux gens de se tuer non pour la valeur incalculable de leur âme mais pour le prix d’ores et déjà calculé de leur carcasse.
En fait la voiture, sa voiture, va donner à son dompteur et son esclave la sensation paradoxale d’être en fin libre, revenu au sein maternel, à la solitude originelle, loin, très loin de tout regard étranger. Ni les piétons, ni les agents, ni les automobilistes voisins, ni la femme qui l’attend, ni toute la vie qui n’attend pas, ne peuvent le déloger de sa voiture, le seul de ses biens, après tout, qui lui permette une heure par jour de redevenir physiquement le solitaire qu’il est de naissance. Et si, en plus, les flots de la circulation s’écartent devant sa voiture comme ceux de la mer Rouge devant les Hébreux, si en plus les feux rouges s’éloignent les uns des autres, se raréfient, disparaissent, et si la route se met à osciller et à murmurer selon la pression de son pied sur l’accélérateur, si le vent devient un torrent par la portière, si chaque virage est une menace et une surprise et si chaque kilomètre est une petite victoire, alors étonnez-vous que de paisibles bureaucrates promis à des destins brillants au sein de leur entreprise, étonnez-vous si ces paisibles personnes aillent faire une belle pirouette de fer, de gravier et de sang mêlés dans un dernier élan vers la terre et un dernier refus de leur avenir. On qualifie ces sursauts d’accidentels, on évoque la distraction, l’absence, on évoque tout sauf le principal qui en est justement le contraire, qui est cette subite, insoupçonnable et irrésistible rencontre d’un corps et de son esprit, l’adhésion d’une existence à l’idée brusquement fulgurante de cette existence : « Comment, qui suis-je ? Je suis moi, je vis ; et je vis ça, et j’y vais à 90 kilomètres à l’heure dans les villes, 110 sur les nationales, 130 sur les autoroutes, à 600 à l’heure dans ma tête, à 3 à l’heure dans ma peau, selon toutes les lois de la maréchaussée, de la société et du désespoir. Quels sont ces compteurs déréglés qui m’entourent depuis l’enfance ? Quelle est cette vitesse imposée au cours de ma vie, mon unique vie ?... »
Quand on va vite, il y a un moment où tout se met à flotter dans cette pirogue de fer où l'on atteint le haut de la lame, le haut de la vague, et où l'on espère retomber du bon côté grâce au courant plus que grâce à son adresse. Le goût de la vitesse n'a rien à voir avec le sport. De même qu'elle rejoint le jeu, le hasard, la vitesse rejoint le bonheur de vivre et, par conséquent, le confus espoir de mourir qui traîne toujours dans ledit bonheur de vivre. C'est là tout ce que je crois vrai, finalement : la vitesse n'est ni un signe, ni une preuve, ni une provocation, ni un défi, mais un élan de bonheur "
3. Voyage en Belgique, Victor Hugo, 1837
22 août
Je suis réconcilié avec le chemin de fer ; c’est décidément très beau. Le premier que j’avais vu n’était qu’un ignoble chemin de fabrique. J’ai fait hier la course d’Anvers à Bruxelles et le retour. […]
C’est un mouvement magnifique et qu’il faut avoir senti pour s’en rendre compte. La rapidité est inouïe. Les fleurs du bord du chemin ne sont plus des fleurs, ce sont des taches ou plutôt des raies rouges ou blanches ; plus de points, tout devient raie ; les blés sont de grandes chevelures jaunes, les luzernes sont de longues tresses vertes ; les villes, les clochers et les arbres, dansent et se mêlent follement à l’horizon ; de temps en temps, une ombre, une forme, un spectre debout paraît et disparaît comme l’éclair à côté de la portière ; c’est un garde du chemin qui, selon l’usage, porte militairement les armes au convoi. On se dit dans la voiture : c’est à trois lieues, nous y serons dans dix minutes. Le soir, comme je revenais, la nuit tombait. J'étais dans la première voiture. Le remorqueur flamboyait devant moi avec un bruit terrible, et de grands rayons rouges, qui teignaient les arbres et les collines, tournaient avec les roues. Le convoi qui allait à Bruxelles a rencontré le nôtre. Rien d'effrayant comme ces deux rapidités qui se côtoyaient, et qui, pour les voyageurs, se multipliaient l'une par l'autre; on ne voyait passer ni des wagons, ni des hommes, ni des femmes, on voyait passer des formes blanchâtres ou sombres dans un tourbillon. De ce tourbillon sortaient des cris, des rires, des huées. Il y avait de chaque côté soixante wagons, plus de mille personnes ainsi emportées, les unes au nord, les autres au midi, comme par l'ouragan.
Il faut beaucoup d'efforts pour ne pas se figurer que le cheval de fer est une bête véritable. On l'entend souffler au repos, se lamenter au départ, japper en route; il sue, il tremble, il siffle, il hennit, il se ralentit, il s'emporte: il jette tout le long de la route une fiente de charbons ardents et une urine d'eau bouillante; d'énormes raquettes d'étincelles jaillissent à tout moment de ses roues ou de ses pieds, comme tu voudras, et son haleine s'en va sur vos têtes en beaux nuages de fumée blanche qui se déchirent aux arbres de la route.
4. Le soleil et l’acier, Yukio Mishima, 1973
Cours à distance
calendrier
Vendredi 27 mars :
- Lecture d'un corpus
- Questions sur le sens de chacun des textes /
- Correction
Vendredi 3 avril
- Vocabulaire : les mots pour le dire pour la synthèse et l'écriture personnelle
- Indications sur le corpus pour faciliter la rédaction de la synthèse.
- Indications sur le sujet d'écriture personnelle
- Documents complémentaires pour alimenter les exemples dans l'écriture personnelle.
Travail à rendre dernier délai pour le vendredi 17 avril : karine. tirolle@ac-montpellier.fr
- Seulement la synthèse pour les TC1
- Synthèse et écriture personnelle pour les TC2
Vendredi 24 avril
Lecture de deux nouvelles sur le thème de la vitesse
- "Les accélérations", Le K, Buzzati
- "Le trottoir roulant de la station Montparnasse", La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules ,Delerm
Quelle vision de la vitesse chaque nouvelle offre-t-elle? Justifiez. Vous laisserez un commentaire en bas de page ("ajouter un commentaire"). Pas plus de deux phrases par texte.
Vendrdedi 9 mai
- TABLEAU BILAN
- Classez les textes et documents vus sur le thème dans les colonnes correspondantes. Puis rédigez une problématique pour chaque colonne.
Vendredi 27 mars : travail à envoyer à 17h dernier délai
- Document 1 :David Le Breton, Marcher. Eloge des chemins de la lenteur, 2012
- Document 2 : Jérôme Lèbre , " L'accélération du temps nous rend immobiles", propos recueillis par Anne-Sophie Novel, Le Monde, 3 mars 2017
- Document 3 : Jean-Jacques Rousseau, Emile ou de l'Education, V, 1762
- Document 4 : Julien Gracq, La presqu'ïle, 1970
Répondez aux 5 questions suivantes :
Document 1 :
- Comment comprenez-vous cette phrase? "Dans notre monde , l'oisiveté s'est transformée en désoeuvrement."
Document 2 :
- Pour quelles raisons, Jérôme Lèbre ne croit pas en la vision apocalyptique liée à l'accélération du monde?
Document 3 :
- Pourquoi JJ Rousseau pense-t-il que les hommes mentent? " Quand ils se plaignent que le temps coule trop vite, ils mentent". Justifiez
Document 4 :
- Pourquoi, à la fin du récit, le narrateur laisse " tomber sa vitesse"? Justifiez
Question générale :
- Quel titre pourriez-vous donner à ce corpus. Pour quelles raisons?
Document 1 :David Le Breton, Marcher. Eloge des chemins de la lenteur, 2012
Echappée hors du temps ou dans un temps ralenti ,la marche n’est pas une recherche de performance ou une quête de l’extrême sponsorisée par des marques commerciales, elle est un effort à la mesure des ressources propres du marcheur. En musardant au fil des chemins et du temps il décide seul de son emploi du temps. Rien ne l’empêche de faire une sieste au bord de la route ou de discuter avec ses compagnons. Le marcheur réinvente la flânnerie, le fait de prendre son temps .Il ne va pas plus vite que son ombre. Milan Kundera regrette la disparition des flâneurs dans nos sociétés et il rappelle un proverbe tchèque à leur propos : ”ils contemplent les fenêtres du bon Dieu.” Un tel homme est heureux. Dans notre monde, l'oisiveté s'est transformée en désœuvrement, ce qui est tout autre chose : le désoeuvré est frustré, s’ennuie, est à la recherche constante du mouvement qui lui manque” (Kundera 1995 ) . Affirmation tranquille que le temps n’appartient qu’à soi. La marche déjoue les impératifs de vitesse ,de rendement ,,d’efficacité elle n’en a même rien à faire. Elle ne consiste pas à gagner du temps mais à le perdre avec élégance . Il ne s’agit plus d’être pris par le temps mais de prendre son temps. En cela elle est une subversion radicale dans une société qui a fait loi de la terrible parole deTaylor dans les usines Ford des années 20 qui ne supportait pas de voir les ouvriers cesser un seul instant de travailler : “ Guerre à la flânnerie.” La frénésie de la vitesse, du rendement, appelle en réaction la volonté de ralentir, de calmer le jeu. La marche est une occupation pleine du temps ,mais dans la lenteur. Elle est une résistance à ces impératifs du monde contemporain qui élaguent le goût de vivre. Aujourd’hui les forêts, les sentiers sont remplis de flaneurs qui marchent à leur guise, à leur pas, en leur temps, en conservant paisiblement ou en méditant le nez au vent. Seule la lenteur permet d’être à la hauteur des choses et dans le rythme du monde. Elle est l’évidence du cheminement, elle implique une progression attentive, voire contemplative, la possibilité de la halte pour profiter d’un lieu où se reposer. Elle est un mouvement de respiration. La lenteur plonge au cœur de l’environnement. Elle met à hauteur des sens les particularités du parcours et elle donne les moyens de se les approprier aussitôt.
Document 2 : Jérôme Lèbre , " L'accélération du temps nous rend immobiles", propos recueillis par Anne-Sophie Novel, Le Monde, 3 mars 2017
Qu’est-ce qui vous a poussé à étudier ce sujet ?
A l’origine, j’ai travaillé sur la vitesse et sur les thèses du philosophe Paul Virilio : je n’arrivais pas à être d’accord avec sa vision apocalyptique et le fait que l’accélération du monde nous mène à la catastrophe.
Cette thèse est portée par nombre de sociologues et de philosophes pourtant. Comment fait-on pour s’en dégager ?
J’ai cherché à approfondir le côté critique de l’aliénation, cette pression que l’on ressent en permanence avec ce rythme qu’on n’a pas choisi. Cela implique de regarder ce qui se passe dans l’Histoire, dans les textes très anciens ou contemporains.
« Montesquieu regrettait déjà le fait que tout le monde coure autour de lui. »
En relisant Sénèque, Rousseau, Montesquieu, je me suis aperçu de la constance du discours tenu au sujet de cet insupportable manque de temps. Montesquieu regrettait déjà le fait que tout le monde coure autour de lui. Nombre de textes, à l’image des Lettres persanes, évoquent aussi l’Orient comme un espace où tout serait plus calme… Ces schèmes sont eux-mêmes liés à la structure du temps, qui par nature nous échappe.
Cette échappée est-elle présente dans toutes les civilisations, à toutes les époques ?
Oui. Dans l’Antiquité, ceux qui n’arrivaient pas à gérer leur temps s’appelaient les agités, ou les insensés (insanus, celui qui n’est pas sain d’esprit, à l’origine). Ce thème de l’agitation est constant de l’Antiquité au XVIIIe siècle, avant d’être remplacé par l’accélération, par l’effet conjugué de la physique et de la technique.
Les agités rendaient responsables à la fois les autres et ce qu’on les obligeait à faire. Aujourd’hui, on accuse cet autre impersonnel qu’est la technique, mais le ressenti reste le même et repose encore sur une structure de la plainte. D’où cette question : bien que compté, le temps peut-il être vécu sans mesure ? Sommes-nous prêts à le maîtriser ?
Comment les différents courants philosophiques appréhendent-ils cette question ?
Avec Bergson et Heidegger, on envisage un temps d’existence qui échappe à la mesure. L’existence consiste à se tenir hors de soi, et c’est cet écart à soi qui crée le temps, indissociablement dedans et dehors. L’accélération n’est que dehors, elle suppose que l’on regarde un chronomètre ; en revanche, tous les changements de l’existence, y compris collectifs, historiques, nous « arrivent » vraiment à nous (non seulement en nous), c’est ainsi que Derrida comprend les événements et Nancy les « mutations » de civilisation.
C’est pourquoi, aujourd’hui, le philosophe ne se glorifie pas de son intériorité et ne donne plus des leçons de vie, il cherche les signes de ce qui mute. Je cherche modestement pour ma part des changements de rythme qui pourraient commencer à faire sens dans notre civilisation : tout ne va pas plus vite (ce discours s’épuise), tout ne tient pas à des décisions d’aller moins vite (on ne décide pas tout) et ce qui s’impose à nous de plus en plus, ce sont peut-être des moments d’immobilisation…
Venons-en à cette notion d’immobilité. Se pourrait-il qu’en gagnant du temps on en vienne à être plus statique ?
Ce qui s’accélère m’intéresse moins que les variations de vitesse : ce qui va vite peut ralentir, certaines vitesses sont constantes, comme la lumière, puis certaines choses sont figées, tel le temps gestationnel. Dans une thèse comme celle soutenue par Harmut Rosa, on comprend que les formes d’inertie sont secondaires, liées à des réactions – les gens essaient de ralentir car ils n’en peuvent plus – ou à des dimensions fonctionnelles, comme les embouteillages. L’accélération l’emporte. Mais ce n’est pas évident : il y a de grandes constantes, comme par exemple les deux heures que met le TGV pour aller de Paris à Lyon depuis une trentaine d’années, le temps de construction et de démantèlement des centrales nucléaires, etc. Mon propos est donc de questionner ce que nous voulons voir ralentir : le désir de lenteur veut-il vraiment ce qu’il veut ?
Dans la tradition, l’immobilité est la position du sage, de celui qui prie, qui médite. L’immobilisation, c’est aussi la peine par excellence, la prison… En affirmant que tout s’accélère, on oublie que la prolifération des e-mails nous immobilise devant les écrans. Et si nombre de choses vont plus vite, il y a aussi une tendance qui prolonge le temps, telles les séries télé qui nous font suivre une histoire pendant des semaines, dans un déroulement temporel qui n’est pas accéléré. La vitesse se transforme en de multiples moments d’inertie.
Document 3 : Jean-Jacques Rousseau, Emile ou de l'Education, V, 1762
Les hommes disent que la vie est courte, et je vois qu’ils s’efforcent de la rendre telle. Ne sachant pas l’employer, ils se plaignent de la rapidité du temps, et je vois qu’il coule trop lentement à leur gré. Toujours pleins de l’objet auquel ils tendent, ils voient à regret l’intervalle qui les en sépare : l’un voudrait être à demain, l’autre au mois prochain, l’autre à dix ans de là ; nul ne veut vivre aujourd’hui ; nul n’est content de l’heure présente, tous la trouvent trop lente à passer. Quand ils se plaignent que le temps coule trop vite, ils mentent ; ils payeraient volontiers le pouvoir de l’accélérer ; ils emploieraient volontiers leur fortune à consumer leur vie entière ; et il n’y en a peut-être pas un qui n’eût réduit ses ans à très peu d’heures s’il eût été le maître d’en ôter au gré de son ennui celles qui lui étaient à charge, et au gré de son impatience celles qui le séparaient du moment désiré. Tel passe la moitié de sa vie à se rendre de Paris à Versailles, de Versailles à Paris, de la ville à la campagne, de la campagne à la ville, et d’un quartier à l’autre, qui serait fort embarrassé de ses heures s’il n’avait le secret de les perdre ainsi, et qui s’éloigne exprès de ses affaires pour s’occuper à les aller chercher : il croit gagner le temps qu’il y met de plus, et dont autrement il ne saurait que faire ; ou bien, au contraire, il court pour courir, et vient en poste sans autre objet que de retourner de même. Mortels, ne cesserez-vous jamais de calomnier la nature ? Pourquoi vous plaindre que la vie est courte puisqu’elle ne l’est pas encore assez à votre gré ? S’il est un seul d’entre vous qui sache mettre assez de tempérance à ses désirs pour ne jamais souhaiter que le temps s’écoule, celui-là ne l’estimera point trop courte ; vivre et jouir seront pour lui la même chose ; et, dût-il mourir jeune, il ne mourra que rassasié de jours.
Document 4 : Julien Gracq, La presqu'ïle, 1970
C'était maintenant le moment le plus glorieux de la journée : l'air était si léger que Simon, pour le pur plaisir de respirer, baissa les glaces de la voiture ; cet air frais, et la couleur d'or de la journée déjà fléchissante, lui montait à la tête comme un vin. Il regardait devant lui l'ombre de la haie qui s'allongeait jusqu'au milieu de la route, et de temsp en temps, sur sa droite, le sommet de la colline où montait au-dessus de l'horizon la pointe d'aiguille du clocher de Coatliguen. Il se sentit de nouveau un moment heureux comme il l'était toujours sur la route à la fin de la belle journée, quand l'ombre dse poteaux télégraphiques commence à s'allonger sur les chaumes et que les vitres des fermes tapies prennent feu au loin l'une après l'autre dans le soleil oblique ; le blanc de chaux d'une tour de moulin, devant lui, flambait dans le soleil : la campagne devenait un théâtre où un doigt de feu, délicatement, venait toucher et allumer la touffe de gui d'un pommier isolé dans sa pâture, l'ardoise mouillée d'une gentilhommière au creux de sa chênaie : tout devenait embuscade, apparition, flamboiement aussitôt éteint qu'allumé. Mais, déjà, au bord de la route, passaient çà et là des mares songeuses, endormies entre leurs lentilles d'eau, où la nuit tapie attendait l'heure de monter et de s'élargir.
" Il faudrait que cette heure ne finisse jamais", se dit-il en faisant un soupir d'aise, comme il lui en venait parfois lorsqu'il se reposait allongé auprès d'Imrmgard. " Parce qu'elle est celle-ci et nulle autre, et aussi parce qu'elle vient avant." Le sentiment de l'heure mûrissante, du temps en route irrésistiblement vers son fruit, logeait en lui comme dans une femme grosse 1 : l'envie lui venait par instants de fermer les yeux. Il pressa l'accélérateur : la voiture bondit sur le chemin plat, mais presque aussitôt il laissa tomber sa vitesse : il ne tenait pas à dévorer si vite le ruban enchanté.
1. Enceinte
Lien Dropbox pour la correction
Exemple de copie réussie
Document 1 :Comment comprenez-vous cette phrase? “ Dans notre monde, l'oisiveté s’est transformée en désoeuvrement. »
L’auteur veut expliquer qu'il y a un changement de mentalité dans le monde. Auparavant l’oisiveté était perçu comme une chose « positive» : perdre du temps d’une façon agréable et heureuse, sans se soucier du reste. On ne cherche pas à s’occuper pour s’occuper, mais on cherche à profiter de l’instant et du monde qui nous entoure sans se préoccuper du temps qui passe. La beauté du monde est partagé avec ce plaisir de perdre du temps.
De nos jours cette vision de perte du temps heureuse et joyeuse est terminée. Il perçoit le désœuvrement comme étant quelque chose de froid et frustré. L’Homme cherche à combler le vide dans son emploi du temps, il cherche à effacer l’ennuie en s’occupant de différentes façons sans aucune satisfaction particulière de réaliser l’action.
Document 2 : Pour quelles raisons, Jérôme Lèbre ne croit pas en la vision apocalyptique liée à l'accélération du monde?:
Jérôme Lèbre ne croit pas en la vision apocalyptique liée à l’accélération du monde car il constate que la vitesse est un rythme que nous n’avons pas choisi. Depuis des siècles nous vivons cette accélérations sans pour autant la contrôler. C’est un changement présent dans toute les civilisations du monde et dans tout les époques . Pour lui malgré cette accélération nous avons encore ce pouvoir d’immobilisation qui montre que nous
Document 3 : Pourquoi JJ Rousseau pense-t-il que les hommes mentent? " Quand ils se plaignent que le temps coule trop vite, ils mentent". Justifiez
Pour l’auteur, l’Homme ne cesse de vouloir accélérer le temps. Pour lui les hommes ne savent pas vivre le moment présent, ils cherchent toujours à être dans le futur et courir après l’horloge.
L’homme à une satisfaction particulière de voir que le temps passe rapidement. Ils ne prend plus ce temps de vivre réellement. Pour l’auteur c’est l’Homme qui rend sa vie courte en accélérant le temps. Si ceux ci décidaient de ralentir de profiter de l’instant présent ils aurait moins cette sensation de vitesse . Car ils n’auraient pas sans cesse les yeux fixés sur la montre ou le calendrier. Ils se plaignent d’une chose qu’ils recherchent sans cesse.
Document 4 :Pourquoi, à la fin du récit, le narrateur laisse " tomber sa vitesse"? Justifiez
À la fin du récit, le narrateur laisse tomber sa vitesse car l’impact qu’exercent la nature et les éléments naturels sur son comportement et son bien-être physique et mental est positif. L’impact de l’immersion dans ce lieu de la plus forte diversité de la végétation : la campagne, lui donne l’illusion que le temps s’est arrêté.Voir de la fenêtre de sa voiture ce paysage : La magie de ce lieu est telle que son cerveau, son corps puisent dans des bienfaits insoupçonnés, la simple vue de la nature lui donne cette sensation de liberté. Appuyer sur l’accélérateur est pour lui comme mettre fin à cet instant de paix et de bonheur. C’est comme vouloir enlever la magie qui se retrouve autour de lui.
Question générale : Quel titre pourriez-vous donner à ce corpus. Pour quelles raisons?
Je donnerai à ce corpus le titre :
« Et si on prenait le temps de ralentir? »
Nous observons que dans 3 différents textes ( texte 1,texte 3 et texte 4), les auteurs mettent en avant que prendre le temps de profiter de l’instant présent est une chose qui manque dans notre société d’aujourd’hui:
- Texte 1: « Milan Kundera regrette la disparition des flâneurs dans nos sociétés ».
- Texte 3: « Nul ne veut vivre aujourd’hui ; nul n’est content de l’heure présente, tous la trouvent trop lente à passer. »